La première fois que j’ai regardé Canal Plus, c’était dans les années 80. La dernière fois, c’était lundi soir aux alentours de 20 heures, à l’occasion de la rentrée de Nulle part ailleurs. Un nouvel animateur avait été choisi pour présenter l’émission-vitrine: Nagui, l’homme aux doubles fossettes, revenu de M6, de TF1 et de France 2.
Pendant des années, Nagui avait représenté tout ce dont Canal Plus se moquait: les jeux télévisés à bon marché, le public provincial, le mauvais goût vestimentaire. Personne n’a oublié les vestes framboises ou canari qu’il exhibait sur ses plateaux. A la même époque, les présentateurs de Canal Plus s’affichaient en t-shirt blanc et costume graphique. Ils invitaient cinéastes et top-models pendant que Nagui posait des questions stupides à des Français moyens.
Mais lundi soir, Nagui portait une veste noire. Il tenait sa revanche. «J’ai mis douze ans pour arriver ici.» Douze ans pour quoi? Pour s’asseoir dans le fauteuil d’Antoine de Caunes, de Philippe Gildas et de Guillaume Durand? Ou pour apparaître dans l’émission la plus «branchée» du paysage audiovisuel parisien?
Depuis douze ans, la chaîne cryptée se moque des beaufs tout en essayant de leur refiler des décodeurs et des abonnements. Elle jongle avec les références télévisuelles pour faire croire à ses clients qu’ils sont différents de leurs voisins de palier. L’insolence des débuts s’est transformée en mépris commercial.
Le monde a changé pendant ces douze ans, mais Canal Plus n’a rien remarqué. Son langage est resté coincé dans les postures ironiques et l’insolence systématique. Les invités de Nulle part ailleurs sont toujours tétanisés à l’idée de paraître ringards.
Nagui semble avoir compris les règles qui régissent la maison. Pour sa première apparition dans ce temple du snobisme, il avait organisé un duplex avec Zinedine Zidane dont le visage, cadré à ras-la-calvitie, apparaissait dans un moniteur. L’animateur lui a posé quelques questions, auxquelles le footballeur a gentiment répondu. «Zizou, vous pouvez parler plus vite? Je suis en retard.». Rires dans la salle. Zidane paraissait désolé.
Et puis, Nagui lui a offert un cadeau: un cache-sexe en forme d’amortisseur de moto. «Vous aimez la moto, Zizou, hein?» Le champion de France n’y comprenait rien. «Non, j’aime pas la moto. J’ai peur.» Rires dans la salle. «Ça va aller, mon Zizou, hein?»
C’est ainsi que Nagui a réussi son examen d’entrée à Nulle part ailleurs.