KAPITAL

Bang & Olufsen: retour à plein volume

Le patron du constructeur danois, Torben Ballegaard Sørensen, raconte à Largeur.com comment il a relancé la marque mythique.

Avec ses lignes épurées et son élégance froide, l’audiovisuel Bang & Olufsen se reconnaît au premier coup d’œil. C’est sur cette capacité à se distinguer des autres que le fabricant danois a construit une image incroyablement forte, devenue synonyme de richesse et de réussite sociale dans le monde entier, et notamment en Suisse, son cinquième plus grand marché.

Icône des années fric avec son matériel hors de prix, la marque a cependant eu du mal à s’adapter à la génération Internet. En 2001, Apple lance l’iPod tandis que Bang & Olufsen stagne, et change de directeur général: Torben Ballegaard Sørensen, vice-président de l’autre mythe industriel danois Lego, prend les commandes avec pour objectif d’inverser la tendance, de relancer et de repositionner la marque.

«Nos clients adoraient B&O pour son design, son look, mais ne remarquaient plus notre technologie, raconte Torben Ballegaard Sørensen à Largeur.com. C’est ce que j’ai appelé le « pretty face syndrom »: nous étions en quelque sorte une marque de style, un peu comme un designer de mode, raison pour laquelle nos produits plaisaient tant aux femmes. Mais il fallait aussi mettre en avant la technologie, qui a toujours été un point fort.»

Quatre ans plus tard, B&O arrive avec une foule de nouveaux produits, et diversifie: sur le stand Audi du Salon de l’auto, on pouvait tester le premier système acoustique du fabricant danois destiné à l’automobile. Dans les portières, la technologie des enceintes BeoLab de salon, et 1100 Watts de puissance répartie sur 14 haut parleurs.

«De 1 à 2 produits par année, nous montons à quatre voire cinq sorties désormais.» Aidé par le marketing, le repositionnement a porté ses fruits, d’autant que les innovations techniques ont suivi: les enceintes BeoLab 5, 22’200 francs la paire, intègrent de minuscules microphones qui mesurent les qualités acoustiques de la pièce et ajustent le son en conséquence, un peu comme une focale d’appareil photo. Ce système de «lentilles acoustiques», développé par un fabricant américain avec lequel B&O a signé un contrat d’exclusivité, équipe désormais les autres haut-parleurs de la gamme.

Cette année, Bang&Olufsen prépare plusieurs nouveautés, dont un système audio qui permet de télécharger de la musique sur Internet sans utiliser d’ordinateur. «La simplicité reste notre point fort: tous nos appareils fonctionnent avec une seule même télécommande. Cela continuera.» Par ailleurs, B&O sortira prochainement une chaîne hi-fi d’entrée de gamme, à environ 3000 euros, pour atteindre aussi une clientèle plus jeune.

«Je ne vois pas B&O comme Rolls Royce: nos clients ne sont pas tous des millionnaires! Ils apprécient simplement une technologie qui allie esthétique et performante, un peu comme Audi ou Mercedes. De la même manière que dans l’automobile, certains clients de Hi-Fi préfèrent économiser pour acquérir un produit haut de gamme durable au lieu de se contenter du minimum.»

Le recentrage technologique de la marque coûte cher, et il a donc dû s’accompagner d’une restructuration menée au pas de charge: des dizaines de boutiques dont les performances étaient jugées insuffisantes ont été fermées. Une usine de 350 employés au Danemark a été remplacée par un contrat de sous-traitance avec Flextonics (qui fabrique les composants électroniques dans une usine à Singapour). «Nous sous-traitons l’assemblage mais ce sont nos ingénieurs qui s’occupent du design des circuits, précise Torben Ballegaard Sørensen. Par ailleurs, nous continuons de prendre en charge la fabrication des boîtiers en aluminium, selon un procédé que nous avons mis au point.»

La délocalisation en Tchéquie du moulage et de l’assemblage s’accélère: Quinze millions d’euros ont été investis dans l’usine de Kopřivnice, qui passera de 60 à 200 personnes d’ici à l’année prochaine. Elle devrait permettre d’économiser 5 millions d’euros par an. Les cols blancs (marketing, design, vente, administration) restent au Danemark, ils représentent plus de la moitié de l’effectif total de 2200 personnes.

Avec 500 millions de chiffre d’affaires et une marge avant impôt de 9% en 2004, B&O s’en est pas trop mal sorti compte tenu des résultats de l’industrie. «Et il faut tenir compte de l’adaptation du marché de la télévision: l’arrivée du plasma et du LCD a apporté de nouveaux concurrents sur ce marché», note le patron.

Cités par la presse spécialisée, les analystes anticipent de bons résultats pour le premier trimestre 2005. «Notre potentiel de croissance est important, notamment en Russie et en Asie. Nous avons d’ailleurs ouvert 10 nouvelles boutiques en Chine», dit seulement Torben Ballegaard Sørensen.

L’entreprise danoise vend 100’000 pièces haut de gamme par an, et le même nombre de gadgets moins coûteux (téléphones, casques ou baladeurs MP3). «Il y a toujours une logique entre les produits: par exemple, le téléphone baisse automatiquement le volume de la chaîne hi-fi quand il sonne.» Une cohérence entre les éléments que le patron connaît bien: «Tout doit s’imbriquer de manière logique et facile, comme les Legos.»

Une entreprise qui connaît les crises

A plusieurs reprises, Bang & Olufsen a frôlé la mort. La première crise prend place dans les années 1940, lorsque le responsable du développement, Harald Linnet, et celui des ventes, Hoffman Laursen, quittent l’entreprise pour monter leur propre marque, Linnet & Laursen, emportant les meilleurs employés avec eux. Il faudra plusieurs années à Bang & Olufsen pour remonter la pente.

Mais la crise la plus grave intervient dans les années 1980. L’entreprise souffre de la concurrence asiatique et d’un déclin de fidélité de ses revendeurs. Afin de lever des fonds, elle se voit contrainte de signer un partenariat avec Philips. En 1991, une grosse restructuration est entamée: nouvelle direction et vaste opération de réduction de coûts (baptisée BreakPoint 1993).

Le nouveau directeur général, Anders Knutsen, supprime des emplois, des magasins, et décide d’éliminer les stocks en adoptant un modèle de commande à la demande auprès des fournisseurs. La ligne de produits est repensée de fond en comble. Elle donnera notamment naissance aux lecteurs de CD muraux, qui remettront la marque sur les rails. Jusqu’à la restructuration actuelle…

——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 24 mars 2005.