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La Suisse, bonnet d’âne du e-government

Aucun pays ne dépense autant que la Suisse pour développer sa cyber-administration. Et pourtant, dans une récente étude européenne, la Confédération se retrouve en queue de peloton, juste derrière la Lituanie! Explications d’un désastre.

La Commission européenne vient de publier son étude comparative des services publics en ligne. Et comme d’habitude, cette publication est particulièrement humiliante pour la Suisse.

Car année après année, les chancelleries helvétiques reculent dans le classement final, malgré le fait qu’elles dépensent proportionnellement plus que les 27 autres pays étudiés!

Comment un tel écart est-il possible?

En premier lieu, il est essentiel de rappeler que la Commission européenne a sélectionné vingt critères comme la déclaration d’impôt, les permis de construire, l’enregistrement de nouvelles entreprises ou les déclarations de douane, pour établir sa comparaison.

Pour chacun de ces critères, les experts ont défini quatre niveaux d’interactivité des services en ligne. Le premier niveau correspond à la mise à disposition pour les habitants d’informations administratives. Le second volet permet le téléchargement (downloading) des formulaires, par exemple la déclaration d’impôt par l’administration fiscale genevoise.

Le troisième niveau autorise de remplir en ligne ces mêmes formulaires, et de les renvoyer à l’administration concernée. La dernière étape permet de finaliser la transaction complète sans l’apport d’aucun papier et avec paiement électronique à la clé.

Ce dernier point est absolument crucial puisqu’il aboutit à de véritables gains en productivité. C’est malheureusement à ce stade-là que la Suisse et ses administrations communales, cantonales et fédérales se retrouvent en dernière position dans le tableau comparatif.

Comment en est-on arrivé là? La réponse est à chercher dans cette incapacité notoire de penser en termes d’investissements productifs. Les collectivités publiques suisses semblent favoriser davantage l’investissement matériel qu’intellectuel. Selon la pensée dominante, c’est l’apparence et non l’efficacité qui compte; en un mot, elles favorisent un service pour elles-mêmes et non pas pour le citoyen.

La transformation d’un service par les techniques numériques requiert en effet de s’imaginer quelles sont les procédures anciennes et obsolètes qui doivent être remplacées par des procédures automatisées. Mais la peur de perdre sa rente de situation oblige le fonctionnaire à prendre une position défensive face au bouleversement numérique. C’est inquiétant, car tout progrès est entravé par cette attitude conservatrice.

Si l’on étudie de plus près le classement des pays européens, on constate que les petits pays du Nord de l’Europe, comparables à la Suisse, ont adopté une position exactement inverse. Ils ont parié sur l’idée que si un ordinateur peut faire le travail d’un ou d’une fonctionnaire, alors cette même personne pourrait être employée à une tâche plus utile et à plus forte valeur ajoutée.

Dès lors, l’enjeu est clairement établi: l’e-gouvernement, ou cyber-administration, est simplement indispensable à l’amélioration de la productivité des gouvernements.

Une fois le diagnostic clairement posé, il s’agit de s’atteler aux remèdes. Ils sont de trois ordres.

En premier lieu, le politique doit décider d’un agenda, fixer en quelque sorte les étapes du chantier. Ensuite, l’administration doit se charger du changement par le biais des transformeurs, autrement dit, ces acteurs des nouvelles technologies de l’information qui sont capables de repenser l’administration à travers la numérisation des services.

Pour finir, la population et les médias doivent se faire l’écho de ce changement par une pression constante en mettant en évidence des dysfonctionnements choquants (par exemple, le site ch.ch qui a dépensé plus de 18 millions des deniers publics pour… faire ce que Google offre déjà gratuitement!).

La question de la réussite du e-gouvernement est si centrale pour moderniser la Suisse qu’il est impératif de ne pas la laisser seulement aux mains des chancelleries. Le grand public est en droit d’exiger des résultats probants. Pour mesurer l’ampleur du problème, vous pouvez télécharger l’étude de la Commission européenne en cliquant ici.

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Xavier Comtesse, mathématicien, est le directeur romand d’Avenir Suisse, fondation regroupant les plus grandes entreprises du pays.