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A qui profite le crime? Pas à la Syrie

Tous les médias ont accusé Damas après l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais. Mais pourquoi la Syrie se mettrait-elle dans une telle situation masochiste? Il faut chercher ailleurs.

L’encre de la proclamation des résultats électoraux irakiens aura à peine eu le temps de sécher que la crise proche-orientale connaissait, avec le tragique assassinat de Rafic Hariri, un nouveau rebondissement. N’étaient la violence de l’attentat et son impact sur des populations encore marquées par les horreurs d’une interminable guerre civile, on pourrait dire: «Comme annoncé!»

Cela fait en effet des mois que l’étau se resserre autour de la Syrie. Dans un article d’octobre 2003, nous attirions déjà l’attention sur la mise en marche du processus d’accusation de la Syrie aux Etats-Unis. Parce que pour les amis néo-conservateurs de George W. Bush, rien, même pas la paix régionale, ne justifie le maintien au pouvoir de cliques dictatoriales quelles qu’elles soient.

C’est ce qu’ils appellent l’impérialisme bienveillant: la démocratie doit s’installer dans tout le Proche-Orient. Les Irakiens viennent de voter pour élire un parlement, les Saoudiens l’ont fait pour élire des conseils municipaux, il n’y a pas de raison que les Syriens ne fassent pas de même. L’argument est imparable.

De surcroît, comme ils maintiennent indûment une force d’occupation de 14’000 hommes au Liban, qu’ils commencent par se retirer de ce petit pays dont les habitants aspirent à l’indépendance. Autre argument imparable. Et les Libanais, par leurs vociférations antisyriennes lors des funérailles de Rafic Hariri ont apporté leur caution à cette manière de voir.

Mais la quasi unanimité qui s’est faite pour accuser de cet attentat résiste-t-elle à l’analyse? Si l’on pose la question, le fameux «cui prodest?», à qui profite le crime, la réponse n’est pas évidente. Pourquoi un Etat, la Syrie en l’occurrence, qui se trouve depuis au moins trois ans dans le collimateur des Etats-Unis dont on vient de voir en Irak qu’ils ne plaisantaient pas en matière d’intervention armée, se mettrait-il en situation de se faire lyncher par la presse internationale comme cela se passe depuis le 15 février, juste pour éliminer un homme politique qui vient de se distancier de sa politique, mais après l’avoir fidèlement servi pendant une quinzaine d’années?

Bachar Al-Assad a certes tous les défauts d’un héritier choyé, nourri dans le cocon familial d’un père qui ne badinait pas avec ses opposants, mais il y a peu de chance qu’il soit à ce point masochiste. C’est d’ailleurs la conclusion de bon sens à laquelle arrive, dans «L’Hebdo» du 17/02/05, le journaliste Walid Charara qui, bien seul, clame que Damas n’est pas suicidaire.

Mais alors que Charara met en cause le Mossad israélien (on ne prête qu’aux riches!), je chercherais plutôt du côté de quelque officine libanaise. Un éléphant comme Hariri n’a pu se maintenir aussi longtemps au pouvoir – une première fois de 1992 à 1998, une seconde de 2000 à 2004 – sans écrabouiller le petit orteil d’un aspirant potentat local et vindicatif.

N’empêche! Le mal est fait et Damas pris au piège. Comme Paris avait déjà rejoint Washington en septembre 2004 pour exiger le retrait les troupes syriennes du Liban (résolution 1559 de l’ONU), il semble raisonnable de penser que Bachar Al-Assad ne se fera pas trop prier pour obtempérer.

Mais ce retrait se fera dans les pires conditions, avec un régime syrien aux abois, une armée humiliée, des services de renseignements prêts à tout pour jeter le trouble dans une région déjà très fragile.

Cela ne fait pas peur aux Américains. En visite à Beyrouth, le secrétaire d’Etat adjoint pour le Proche-Orient, William Burns, a exclu tout nouveau report dans la mise en oeuvre de la décision onusienne: «La mort de Rafic Hariri, a-t-il déclaré, devrait renforcer l’élan pour un Liban libre, indépendant et souverain. Cela veut dire une application immédiate de la résolution 1559 du Conseil de sécurité et donc un retrait syrien immédiat et complet du Liban.»

En l’entendant, je ne puis m’empêcher de penser à ces médecins qui déclarent suavement que l’opération a parfaitement réussi mais que, hélas, le patient n’a pas survécu.

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