LATITUDES

Portrait de Cassini-Huygens, la sonde saturnienne qui a frôlé la Terre

Le 17 août, un engin spatial américano-européen est venu rebondir dans l’orbite terrestre. Ce passage a donné lieu à une vive polémique aux Etats-Unis. Les écologistes radicaux redoutaient une dissémination de plutonium radioactif dans l’atmosphère.

L’événement s’est déroulé il y a une semaine (mercredi 17 août), peu avant l’aube (5h28, heure suisse). Un engin spatial américano-européen est venu frôler la planète Terre. Selon la trajectoire prévue par les ingénieurs, la sonde Cassini-Huygens a rebondi dans l’orbite terrestre à une distance de 1171 kilomètres pour prendre de la vitesse et repartir de plus belle vers Saturne, qu’elle atteindra le 1er juillet 2004 après un passage autour de Jupiter le 30 décembre 2000.

Les écologistes radicaux américains, qui s’étaient déjà enflammés contre cette mission avant son lancement le 15 octobre 1997, ont redonné de la voix dans les jours précédant le «frôlement». Ils s’inquiétaient de la source énergétique de l’engin, en l’occurrence des générateurs thermoélectriques à radio-isotopes (RTG) qui remplacent les panneaux solaires habituellement utilisés lors des missions spatiales en orbite terrestre.

Le danger dénoncé par les écologistes tenait à une imprécision toujours possible de la trajectoire de la sonde spatiale; si elle s’approchait à moins de 100 km de la Terre ou qu’elle la percutait, l’échauffement était en mesure de disperser dans l’atmosphère les quelque 200 kg de combustible des RTG, du plutonium Pu-238, un isotope radioactif. Cette dissémination, affirment les opposants, serait de nature à augmenter les cas de cancer dans le monde.

Les RTG ne sont pourtant pas des réacteurs nucléaires, comme l’explique en long et en large la NASA sur le site dédié à Cassini-Huygens. Ces générateurs n’utilisent ni la fission ni la fusion pour produire de l’énergie et ils ne comportent aucune pièce mobile. Leur fonctionnement est en fait d’une grande simplicité: la dégradation radioactive naturelle du plutonium 238 produit de la chaleur qui est transformée en électricité par des convertisseurs thermoélectriques. Et c’est tout. Le procédé est d’une fiabilité totale puisqu’il a été utilisé depuis 30 ans pour 23 missions de longue durée et de grandes distances, comme les Viking, les Voyager, les Pioneer, Apollo, Galileo et Ulysses, sans jamais avoir été pris en défaut.

Néanmoins, pour prévenir les critiques les moins justifiées, les ingénieurs qui ont conçu le RTG ont pris d’infinies précautions. Le dioxyde de plutonium utilisé comme carburant se présente sous la forme d’une vingtaine de plots de céramique, particulièrement résistants à la chaleur, y compris celle de la rentrée dans l’atmosphère. Chacun de ces plots est équipé d’une protection thermique et d’un bouclier résistant aux impacts. Enfin, une protection multicouches, comprenant des capsules d’iridium et des blocs de graphite, entoure le carburant afin de prévenir toute fuite accidentelle.

Un calcul a aussi été effectué pour déterminer si vraiment la santé des humains pouvait être affectée par un éventuel accident. Le risque s’élève à un maximum d’un millirem sur 50 ans (par comparaison, le rayonnement naturel expose chaque être humain à environ 15’000 millirems sur 50 ans). Certains scientifiques, comme Ernest Sternglass, contestent ces chiffre, mais n’ont pas répondu à la demande de la NASA et du Département américain de l’énergie qui les ont invités formellement à soutenir leur argumentation.

La bonne foi de certains opposants peut aussi être mise en doute dans la façon dont ils évoquent le danger d’impact avec la Terre lors du passage de la sonde. La manoeuvre a été tentée à de multiples reprises et a toujours réussi. Ce succès s’explique de manière relativement simple (rien n’est tout à fait simple dans l’espace, mais quand même…): la navigation de l’engin est précise à 20 km près. Jusqu’à la dernière correction avant le passage à proximité de la Terre, la trajectoire suivie évite largement le corps céleste qu’elle doit effleurer. C’est comme si, dans un stand de tir, un tireur avait la possibilité de corriger la trajectoire de la balle dans les derniers centimètres avant l’impact: il vise le «quatre», sachant qu’il pourra le transformer en «cinq» au dernier moment. Si son dispositif de correction tombe en panne, ce sera un «quatre», quoi qu’il fasse, et pas un «cinq».

Résultat de cette course cosmique: la catastrophe redoutée par certains ne s’est évidemment pas produite – pas plus que Paris n’a été détruit le 11 août par l’éclipse solaire. Mais malgré ses excès, la contestation des écologistes américains aura tout de même permis de clarifier la situation. Les ingénieurs qui ont conçu les génératrices RTG de Cassini-Huygens auraient-ils pris toutes ces précautions s’ils n’avaient été soumis au feu roulant des critiques?