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L’affaire Bellasi et le mythe de la perfection suisse

La Suisse est un pays réputé fiable et méticuleux. On dit que son administration publique fonctionne comme une pièce d’horlogerie, sans cesse améliorée, affinée, optimisée. C’est d’ailleurs par souci de perfection que des employés de l’Etat avaient cru nécessaire, pendant des années, de consigner les faits et gestes de milliers de leurs concitoyens sur des fiches de carton. Ils opéraient dans le secret le plus total. Ces travailleurs de l’ombre étaient au service de l’efficacité helvétique. Le secret pour l’efficacité.

La Suisse a toujours entretenu des relations particulières avec le secret, qu’il soit bancaire, commercial ou diplomatique. Comme si la prospérité du pays dépendait d’obscurs échanges et de tractations souterraines. La discrétion était élevée au rang de vertu nationale, le mécanisme fonctionnait, la Suisse semblait aussi robuste qu’un coffre-fort de la Bahnhofstrasse.

Depuis une semaine, ce cliché vole en éclats. Le scandale qui secoue les services de renseignement de l’armée démontre que l’administration fédérale n’était pas aussi bien réglée qu’on aurait pu le croire. Qu’un simple comptable des services secrets ait pu empocher plus de 8 millions de francs (32 millions de francs français) à la barbe de sa hiérarchie semblait déjà suffisamment spectaculaire pour qu’on parle d’une affaire historique. Ce n’était rien en regard des révélations faites hier par le Sonntagsblick.

L’hebdomadaire zurichois annonce qu’un véritable arsenal a été découvert dans un entrepôt de Köniz (canton de Berne) appartenant à Dino Bellasi, l’ex-comptable soupçonné de détournement de fonds. Les enquêteurs ont mis la main sur plus de 200 armes à haute précision. A qui étaient-elles destinées? Deux hypothèses sont avancées. Il pourrait s’agir de matériel appartenant à une organisation criminelle ou du stock d’une cellule secrète de l’armée suisse. Dans un cas comme dans l’autre, il paraît incroyable qu’un tel trafic ait pu être organisé à l’insu des services de renseignement, qui employaient et salariaient Dino Bellasi.

Le chef des services de renseignement de l’armée, Peter Regli, a déjà été suspendu de ses fonctions, «à sa demande», précise-t-on. Mais c’est tout le département militaire qui se trouve discrédité. Son patron, Adolf Ogi, pourrait à son tour être poussé à la démission pour n’avoir pas su contrôler l’un des secteurs les plus sensibles de l’administration fédérale.

Dans cette Suisse si fière de son perfectionnisme, l’absence de contrôle fait figure de crime de lèse-majesté.