TECHNOPHILE

Genève, bientôt capitale mondiale de l’internet sans fil?

L’entreprise Swisswifi envisage d’équiper l’ensemble du canton d’antennes permettant de se brancher à bon compte et à haut débit sur le réseau. Un projet qui divise le monde politique.

Depuis quelques mois, les habitants de toute la commune genevoise du Lignon peuvent surfer sur Internet à l’arrêt de bus, dans le parc, chez eux ou sur leur balcon, avec le même abonnement. En accord avec la commune, l’entreprise Swisswifi a équipé l’ensemble du territoire de relais Wifi, ces petits émetteurs radio à courte portée qui permettent de surfer sans fil sur Internet.

Pour un abonnement promotionnel de 120 francs par année, un accès illimité à haut débit est proposé aux 8000 résidents. Swisswifi discute avec d’autres communes intéressées par une telle infrastructure. Ainsi, le municipal de Meyrin vient de voter une implantation similaire pour ses 20’000 habitants.

La jeune entreprise ne compte pas s’arrêter là: elle envisage de faire de l’ensemble du canton de Genève une «Hotzone», couverte par son réseau. «Le projet est en place, aussi bien commercialement que techniquement. Nous attendons seulement un feu vert politique, indispensable puisque nous avons besoin d’autorisations pour le réaliser, notamment en ville de Genève, détaille Daniel John Ducret, co-fondateur de Swisswifi. Au moyen de 3500 antennes réparties sur le territoire, nous couvrirons entre 80% et 90% de la population du canton. Ces relais seront placés sur des lampadaires, des feux rouges, des arrêts de bus, des églises, etc. Nous avons déjà obtenu l’accord des TPG, de l’Office cantonal des Transports et de la Circulation et du département cantonal de l’aménagement (DAEL).»

A terme, le réseau permettra à tous les habitants du canton, et à tous les voyageurs (touristes, hommes d’affaires), de surfer partout. «Genève 100% Wifi, ce serait un coup de pub mondial formidable, tout simplement génial, jubile Charly Schwarz, «lobbyiste» genevois de l’Internet sans fil dont l’association, L’Esprit de Genève, édite notamment un plan des points d’accès libres existants. L’Internet sans fil est une révolution aussi importante que celle du téléphone mobile par rapport au fixe. Ce projet s’inscrit dans cette évolution logique.»

Un enthousiasme que ne partage pas le Conseil municipal de la ville de Genève. Christian Ferrazino, en charge de l’aménagement: «On trouve déjà Internet à tous les coins de rue: les touristes se branchent dans les cybercafés, les hommes d’affaires dans leur hôtel et les habitants chez eux. Par ailleurs, les opérateurs télécoms proposent déjà des technologies permettant de se relier n’importe où au moyen d’un téléphone mobile.»

Normal, dès lors, que Daniel John Ducret ait eu du mal à se faire entendre des autorités. «J’ai voulu présenter le projet de Swisswifi à la municipalité mais mes lettres sont restées sans réponse. Du côté cantonal, nous attendons toujours une réponse du Conseil d’Etat.» Le scepticisme politique explique aussi que, contrairement à Lausanne ou Vevey, Genève ne propose pas de bornes de connexion gratuite au centre-ville, pour le plus grand plaisir de Swisscom qui facture l’accès aux siennes 90 centimes la minute. «A titre d’essai, nous envisageons d’installer quelques bornes cette année, notamment pour les étudiants dans le parc des Bastions, concède Christian Ferrazino. Mais à mon sens, nous ne devons pas utiliser les deniers publics pour offrir des raccordements. Il y a certainement d’autres priorités pour nous, et pour la population.»

Une réticence qui énerve ses opposants politiques. «Après avoir décrié le salon de l’auto, Christian Ferrazino démontre une fois de plus qu’il n’attache pas d’importance à l’image de Genève et au tourisme, dit Pierre Maudet, président des radicaux de la ville. Dire non d’entrée à une technologie de pointe qui ne nécessite par ailleurs pas ou peu d’investissement public, c’est tout simplement délirant!» Le groupe radical a déposé il y a quelques jours une motion, intitulée «Pour une capitale des télécommunications à la pointe du sans fil», qui met le Wifi à l’étude. «Lors d’un premier vote, la majorité a accepté d’entrer en matière, y compris la gauche, ce qui a sans doute surpris Ferrazino, poursuit Pierre Maudet. Une commission bouclera son étude d’ici au printemps et le Conseil se prononcera avant l’été.»

L’aspect écologique sera aussi évoqué, puisque les Verts s’opposent au projet par crainte d’une prolifération d’antennes dont les effets sur la santé restent incertains. Un argument que balaie scientifiquement le promoteur du projet: «Le rayonnement d’une antenne Wifi est 2000 fois inférieur à celui d’un relais GSM. D’ailleurs, la loi suisse, pourtant particulièrement stricte en matière de rayonnement non ionisant, ne réglemente pas la pose d’antennes d’aussi faible puissance.»

Au début, la technologie Wifi se destinait à des petits réseaux à l’intérieur des bâtiments. Elle s’est ensuite massivement développée pour connecter des ordinateurs dans des lieux publics: hôtels, restaurants, gares, aéroports. Une technologie plus puissante, baptisée WiMax, s’utilise déjà aux Etats-Unis pour couvrir des régions plus vastes. «Le problème, c’est que WiMax nécessite des antennes beaucoup plus puissantes, comparables à celles de la téléphonie mobile, explique le cofondateur de Swisswifi. Du coup, il faudrait des permis de construire, ce qui rendrait toute la procédure beaucoup plus longue et coûteuse.»

Swisswifi financera la pose et l’exploitation du réseau sur l’ensemble du canton. La rentabilité viendra des abonnements facturés. «Le prix sera d’environ 20 francs par mois pour un accès illimité à l’ensemble du réseau, prévoit Daniel John Ducret. Notre offre doit rester compétitive par rapport à un accès ADSL à domicile.» Pour éviter une situation de monopole, qui lui permettrait d’augmenter ensuite ses tarifs, Swisswifi s’est engagé à mettre à disposition son infrastructure à des concurrents selon des conditions non discriminatoire. «C’est une condition importante pour rassurer les autorités, poursuit le co-fondateur de Swisswifi. Elles évitent le risque de se lier avec une seule entreprise pour une telle implantation.»