Les Roumains ont élu un ancien communiste à la tête de leur pays. Retour sur la victoire étonnante d’un homme vrai.
Les Roumains n’en sont pas encore revenus. Depuis un mois, ils ont un nouveau président. Depuis deux semaines un nouveau gouvernement.
Des gens en principe nouveaux, d’un autre bord politique que les sortants. En principe seulement car dans les anciennes dictatures de l’Europe orientale, il n’est pas facile de trouver des politiciens vierges de toute allégeance aux régimes défunts.
Quinze ans, c’est déjà suffisant pour que les trentenaires aient appris un peu de liberté, un peu de libéralisme, un peu d’autonomie, mais cela ne modifie pas un fond culturel. Il y a des réflexes appris en famille ou dans la société, par les parents, l’école ou le boulot qui demeurent imprimés dans les crânes les plus disposés au changement. Mais il y a aussi une belle et fraîche disponibilité à la nouveauté, c’est ainsi que le pays vit en état de grâce. Et se réjouit chaque jour – même si les critiques ne manquent pas – d’avoir porté à sa tête un ancien capitaine de la marine marchande, Traian Basescu.
Mais attention, ce Basescu n’est pas un enfant du chœur! Sous l’ancien régime, il fut communiste, suffisamment bien intégré pour accumuler une coquette somme en dollars. En 1989, il contribue à la chute de Ceausescu au point de se retrouver au gouvernement dans le premier gouvernement «révolutionnaire» de Petre Roman. En 1996, lorsque le centre-droite est parvenu une première fois à chasser Iliescu et ses amis du pouvoir, Basescu est ministre des transports. Un poste où il se fait remarquer pour son efficacité.
Au tournant d’un changement de gouvernement, il disparaît pour revenir au premier plan lors des élections locales de 2000. Par surprise, il emporte la mairie de la capitale, en réalisant un audacieux sprint au dernier moment de la campagne électorale. La Roumanie découvre alors ce politicien atypique qui tranche sur tous ses collègues par son langage clair, précis, concis. On ne peut même pas dire que Basescu pratique le parler vrai, il personnifie la vérité, la vit avec une passion communicative. Et avec un humour décapant, ce qui est très porteur pour sa notoriété. Pendant 4 ans, malgré un législatif municipal lourdement dominé par ses adversaires politiques, il n’a cessé de lâcher des petites phrases pour dire ce qu’il ferait si il avait réellement le pouvoir.
A tel point que lassé par ce harcèlement, les hommes au pouvoir (les Iliescu, Nastase, etc.) décident en juin 2004 de tout faire pour le chasser de la mairie. Ministre des Affaires étrangères, le jeune et pimpant Geoana se présente contre lui pour la mairie et… mord brutalement la poussière. Basescu le bat à plate couture et emporte du coup, chose inouïe, la totalité des arrondissements de la capitale sauf un. Le parti au pouvoir perd d’ailleurs des plumes un peu partout sans que ses stratèges ne prennent conscience de la fragilisation de leur position.
Ils abordent la préparation des législatives et de la présidentielle de novembre dans le même état d’esprit, avec les mêmes méthodes, persuadés que la puissance de nuire d’un Basescu confiné dans la mairie de la capitale ne trouvera plus d’espace où s’exercer.
Erreur! Début octobre, à quelques semaines désormais de l’élection, l’opposition change subitement de leader et présente Basescu comme candidat à la présidence contre Nastase héritier naturel d’Iliescu. Le maire de Bucarest se lance alors dans une campagne éclair au cours de laquelle il ne peut compter que sur ses propres forces, son imagination, son humour, sa capacité de mettre le doigt juste là où cela fait mal.
Apparemment, cela n’est pas suffisant: au soir du premier tour, les amis d’Iliescu peuvent à bon droit se flatter d’avoir gagné la majorité au parlement. L’opposition ne fait que 31% des voix et Basescu stagne à 32% environ, alors que son rival est crédité de près de 45% des suffrages. D’importantes fraudes portant sur 1,3 millions de voix sont dénoncées tant en province que dans la capitale.
Les gens sont dégoûtés et s’apprêtent à bouder les urnes. Basescu, lui, n’est pas dégoûté du tout et poursuit son forcing en tenant plusieurs meetings par jour dans l’ensemble du pays. Il parvient finalement à décrocher un face à face télévisé avec Adrian Nastase. Le débat est pipé, les journalistes outrancièrement favorables au premier ministre sortant, mais Basescu parvient à retourner la situation par un de ces mots dont il est coutumier.
A un certain moment du débat, écœuré par la langue de bois et l’arrogance de Nastase, il se tourne vers lui en lui demandant avec inquiétude:
– Dites-moi, ne trouvez-vous pas curieux que quinze ans après la révolution de 1989 et la chute du communisme, ce soient encore deux anciens communistes qui se disputent la présidence du pays?
Cette simple remarque de bon sens désarçonne totalement Nastase qui, pour une fois, ne peut nier son origine communiste d’autant plus que l’autre se met aussi dans le bain!
Il balbutie, il cherche ses mots: unanimes, les observateurs estiment qu’il a vraiment perdu l’élection à ce moment-là. Le 12 décembre, effectivement, Basescu s’impose brillamment avec environ 52% des voix!
Belle, grande et stupéfiante victoire. Mais ce n’est hélas que la victoire d’un homme seul. Dans le paysage politique roumain, Basescu étonne et détonne. Séduits, les gens se demandent comment il fera pour tenir seul contre tous. Il ne peut pas compter sur le parlement dont Nastase vient de faire élire président. L’appareil d’Etat – en particulier la police, la justice et l’armée – sont tenus par les anciens communistes qui tous jurent que ce président-là ne fera pas long feu. Même le gouvernement, pourtant théoriquement de son bord, est truffé de gens qui ont une mentalité venue tout droit de l’ancien régime et qui se résume à un sonore «Profite de la situation et emplis-toi les poches!»
De surcroît les forces politiques qui ont secondé Basescu dans son ascension sont loin d’être unies. Son propre parti (le parti démocrate) est reconnu par l’Internationale socialiste alors que l’autre composante de l’alliance victorieuse, le parti libéral est sur les positions d’un Sarkozy. Dire que la situation politique roumaine est devenue mouvante voire volatile est un euphémisme.
Mais le nouveau héros ne se laisse pas démonter pour autant. Convaincu d’avoir raison contre des intrigants de bas étage et, surtout, convaincu d’avoir le soutien du peuple, il vit sur un petit nuage en rompant avec les usages les mieux établis. Ainsi, à Nouvel-An, plutôt que d’adresser avec componction et solennité des vœux à la nation, il est allé à minuit sur la Place de l’Université déboucher quelques bouteilles de champagne avec les jeunes qui s’y retrouvent traditionnellement. Tout à sa joie, le président de la Roumanie ne se distinguait des badauds que par l’assiduité de la caméra à le suivre.
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