La municipalité inonde les boîtes aux lettres avec un tous-ménages à sa propre gloire. Une publication coûteuse, qui déforme la réalité pour influencer l’opinion.
«Il n’y a aucune raison pour que les Genevois reçoivent un truc cheap de leur administration.» Philippe d’Espine, chargé de l’information de la Municipalité, résume bien l’ambition affichée de la Ville avec la nouvelle version de son magazine «Vivre à Genève». Ce tous-ménages de 32 pages consacrées à la gloire de l’administration est tiré à 160’000 exemplaires. Et ce n’est qu’un début: la publication sortira cinq fois par an (en février, avril, juin, septembre et décembre).
«Il s’agit d’une version complètement remaniée d’une petite brochure de 16 pages lancée il y a deux ans, poursuit Philippe d’Espine. Nous avons voulu monter le niveau avec cette nouvelle maquette élégante. Nous l’avons transformée en un véritable magazine, dont l’objectif est d’expliquer la politique de la Ville.»
Une opération d’auto-promotion sans complexes, réalisée avec des moyens à rendre jalouses les entreprises privées: «Vivre à Genève» dispose d’un budget de 300’000 francs par an (soit 60’000 francs par édition), sans compter l’équipe rédactionnelle, puisque «les articles sont réalisés en interne par nos différents services de communication et par des conservateurs de musée, dit Philippe d’Espine. Nous n’avons pas engagé de journaliste pour la rédaction des articles.»
Le magazine se finance partiellement avec des pages de pub vendues par une régie externe. «Nous espérons 60 000 francs de rentrées par année.»
La maquette, très soignée, a été réalisée par les Ateliers du Nord, bureau lausannois du célèbre graphiste Werner Jeker, dans la foulée du mandat de 200’000 francs qui lui a été alloué pour relooker l’identité visuelle de l’ensemble de l’administration genevoise. Le design du magazine ne faisant pas partie du mandat initial, il a été facturé en sus.
Les frais de la distribution et des Imprimeries Réunies Lausannoises s’élevant à 40’000 francs par numéro, il reste donc 20’000 francs pour illustrer les 27 pages rédactionnelles. «Pas question de mettre les trombines des magistrats comme dans les autres publications du genre! Nous ne sommes pas la Pravda.»
Pas la Pravda, vraiment? En page 15 de la publication, dans un article intitulé «Les logements se raréfient pourquoi?» (sic), la Municipalité affirme avec un aplomb étonnant que la pénurie historique d’appartements que connaît Genève est due essentiellement à l’évolution démographique et… à l’attractivité de l’université! Tout au plus, l’article évoque «le facteur aggravant majeur» que constitue l’éclatement des groupes familiaux car, «mathématiquement, cette évolution se traduit par des besoins accrus en termes de surface».
Pas un mot des causes politiques, de la surréglementation, ni de la manière dont l’administration a géré le dossier, manière pourtant contestée par tous les bords politiques. «C’est que, répond le rédacteur en chef, on ne va tout de même pas se tirer une balle dans le pied. Mais, si on reçoit beaucoup de courrier de lecteurs, nous le sélectionnerons et nous le publierons dans le prochaine numéro…»
——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 23 décembre 2004.
