Avec leur combinaison moulante fluorescente, leurs casques effilés et leurs talkies-walkies, les cyclistes de la «Vélo Postale» donnent à Genève des airs de grande métropole.
Nouvel acteur sur le marché des coursiers à vélo, cette startup vient de célébrer son premier anniversaire. «La motivation principale était pour moi de faire progresser la vision d’un monde respectueux de l’environnement, explique son créateur Laurent Sommer, 29 ans. Mais il y a aussi le délire que cela représente de monter une boîte en pédalant, et bien entendu la considération économique car nous avons réalisé qu’il restait de la place sur ce créneau.»
Laurent Sommer connaît bien son concurrent, Krick, où il a travaillé comme coursier avant de se lancer à son compte. La Velo Postale compte une douzaine de cyclistes qui pédalent à tour de rôle. Deux à trois coursiers tournent en permanence, de 8h à 18h, du lundi au vendredi, dans la ville. «Ce sont souvent des étudiants, mais pas toujours: l’un d’eux par exemple est un médecin qui vient se détendre sur son vélo quand il a un jour de libre», poursuit Laurent Sommer.
Le créateur de la Vélo Postale, qui travaille par ailleurs comme journaliste à L’Evénement syndical, aimerait bien améliorer les conditions de travail de ses employés. Car le job de coursier, pourtant exigeant physiquement, reste assez mal payé. Sur une course, facturée entre 15 et 27 francs en fonction de la distance, le cycliste touche 40%, soit 6 à 10 francs. Le central regroupe les envois et optimise les trajets, et le cycliste peut généralement accumuler deux à trois courses par heure. Son salaire horaire atteint environ 20 francs, mais dépasse rarement les 25.
Avec une moyenne de 100 courses par semaine, La Vélo Postale ne prend pour l’instant qu’une infime part de marché à son concurrent Krick, qui règne sur le cyclocourrier genevois depuis longtemps. «C’est un métier de passionnés, d’enthousiastes du vélo. On a commencé à trois et il nous a fallu plus de six ans pour sortir la tête de l’eau, se souvient Philipp Krick, ancien banquier bâlois venu à Genève en 1993 pour y développer ce concept.
Actuellement, entre 9 et 12 coursiers Krick tournent en permanence dans la ville: ensemble, ils parcourent l’équivalent de Genève-Vienne chaque jour. J’en salarie une trentaine à temps partiel pour 20 francs l’heure, auxquels s’ajoutent des primes. Nous comptons 250 clients réguliers et l’entreprise tourne bien.»
A Lausanne, la topographie de la ville rend le travail de vélocoursier encore plus sportif. Il y a donc une certaine logique à ce que deux cyclistes de Vélocité aient remporté ex-aequo à Varsovie cette année, le titre de Champion d’Europe des coursiers à vélo. Fondée en 1999, VéloCité a été reprise par deux de ses employés en 2003. «L’entreprise est rentable: nous totalisons entre 40 et 60 courses par jour, et nous atteignons une croissance de 20% par année», dit Dominique Metz, l’un d’eux. Les tarifs, entre 14 et 30 francs dans le grand Lausanne, tiennent compte de la distance, et de la dénivellation…
Aussi entre les villes
Pour élargir leur étendue et concurrencer les envois rapides de la Poste, 17 entreprises de cyclocourrier se sont organisées dans un groupement baptisé Swissconnect. «Grâce à ce système, le client genevois ou lausannois peut utiliser son coursier habituel pour envoyer un colis à Zurich ou à Bâle, explique Christoph Masoner, fondateur de Swissconnect, basé à Lucerne.
Grâce à un accord signé avec les CFF, les coursiers à vélo sont devenus plus rapides que La Poste, et compétitifs. Le montant de la course est divisé en quatre: le coursier de la ville de départ, celui de la ville d’arrivée, les CFF et Swissconnect.»
La Poste prend cette concurrence à pédales très au sérieux. «Les coursiers se faufilent plus vite que nos transporteurs motorisés, admet François Tissot-Daguette, porte-parole de la Poste. Il avait été question de collaborer avec eux dans le secteur des petits colis express car ils nous prennent des parts de marché et sont extrêmement efficaces. Rien n’a abouti pour l’instant.»
Actuellement, la réponse de La Poste s’appelle «Swiss-Courrier Intercity», un service de transport avec récolte à domicile. «Mais nous sommes plus rapides, sourit Dominique Metz de Vélocité à Lausanne. Nous acheminons en 2h30 chez un client en ville de Bâle pour 82 francs, tandis qu’il faut 5h à La Poste, qui facture 74 francs. Nous battons aussi facilement les avions de DHL sur une telle distance.»
Le marché des coursiers connaît une croissance continue. «Dans les années 1990, la protection de l’environnement jouait un rôle important pour nos clients, mais l’efficacité et la fiabilité sont devenus les arguments décisifs aujourd’hui», constate Philipp Krick. «On s’approche du modèle anglo-saxon et les mentalités changent, ajoute Laurent Sommer de la Vélo Postale. Les employeurs réalisent qu’il est inutile de gaspiller le temps d’une secrétaire pour transporter des documents.»
Le commerce en ligne vient appuyer le phénomène. «Aux Etats-Unis, Amazon a mis sur pied son propre réseau de coursiers à vélo dans les grandes villes, dit encore Philipp Krick. Le développement du online est donc prometteur pour nous, même si l’arrivée annoncée de la signature électronique supprimera le besoin du transport de documents officiels.»
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Le cyclocourrier en Suisse
L’usage des coursiers à vélo varie d’une ville à l’autre, comme le montre le tableau ci-dessous:
|
Ville/Entreprise |
Nb de courses |
|
|
1 |
|
1,93 |
|
2 |
Soleure Velokurier |
1,59 |
|
3 |
|
1,39 |
|
4 |
|
1,29 |
|
5 |
|
1,18 |
|
6 |
|
1,08 |
|
7 |
|
1,00 |
|
8 |
Genève Krick | 0,83 |
|
9 |
Zurich Veloblitz | 0,82 |
|
10 |
Lugano Saetta Verde | 0,75 |
|
11 |
Zurich Flash | 0,75 |
|
12 |
Zug Velokurier | 0.74 |
|
13 |
Kreuzlingen Velokurier | 0,63 |
|
14 |
Schaffhausen Velokurier | 0,57 |
|
15 |
Lausanne Vélocité | 0,40 |
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16 |
Winterthur Staffel X | 0,39 |
|
17 |
Bâle Metrokurier | 0,36 |
Source: Swissconnect, 2004
La messagerie à vélo s’utilise énormément à Lucerne, Soleure et Bâle, car elle y existe depuis longtemps. D’une manière générale, l’usage du vélo en ville est plus courant en Suisse-allemande et la cycloculture y est plus forte, aussi parmi la clientèle. Ces raisons expliquent, davantage que la topographie, le mauvais classement des villes romandes.