L’hebdomadaire libéral consacre une large part de son dernier numéro aux problèmes des pays en développement et publie un programme ambitieux pour le troisième millénaire.
«The gap is widening between rich and poor countries, especially between the very poorest and the very richest.» (Le fossé se creuse entre pays riches et pauvres, particulièrement entre les très très riches et les très très pauvres.)
Cette semaine, les plus anciens lecteurs de «The Economist» ont pu s’étonner de voir leur hebdomadaire reprendre à son compte la formule des milieux tiers-mondistes. La bible hebdomadaire des businessmen ultralibéraux aurait-elle brusquement viré vers la gauche?
Le magazine consacre un éditorial musclé et plusieurs articles à la pauvreté. Il lance un cri d’alarme à l’adresse des gouvernements occidentaux, les invitant à mener une politique plus égalitaire envers les pays en voie de développement, à la fois dans le domaine de la santé, de l’industrie et des investissements. «The Economist» rappelle que c’est dans les pays les plus pauvres que vivent 95% des porteurs du virus HIV et que surviennent 98% des morts d’enfants en bas âge.
Appliquée au sens strict, l’économie de marché ne réussira jamais à réduire le fossé. Avec la rigueur économique qui le caractérise, l’hebdomadaire cite l’exemple de la schistosomiasis, une maladie qui qui ne figure pas parmi les priorités des industriels de la pharmacie. Elle touche 200 millions de personnes de par le monde, mais ces individus sont trop pauvres. Ils ne constituent pas un marché suffisant pour justifier les investissements nécessaires au développement d’un traitement.
C’est la logique économique la plus crue. Les compagnies pharmaceutiques n’investissent que lorsqu’elles sont convaincues de la rentabilité d’un projet. Et dans le cas des maladies qui déciment les pays en développement, les mécanismes traditionnels de l’offre et de la demande ne permettront jamais de rentabiliser les investissements.
Comment dès lors sortir de l’impasse? La Banque mondiale et l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) commencent à entrevoir une solution, indique «The Economist». Elles forment des alliances avec les compagnies pharmaceutiques dans le but de promouvoir la recherche sur des médicaments qui pourraient être vendus à des prix abordables.
Le Congrès américain et la Comission européenne discutent de lois allant dans le même sens. Mais de tels projets nécessitent des investissements massifs et les philanthropes comme Bill Gates se font rares, relève l’hebdomadaire.
Où trouver l’argent? Dans les caisses publiques, répond le professeur Jeffrey Sachs, auquel l’hebdomadaire ouvre largement ses colonnes. Le directeur du Centre for International Development de Harvard s’en prend violemment au gouvernement américain qui rechigne à payer sa contribution aux Nations-Unies, et donc à l’OMS.
Dans un article passionnant, publié en ouverture de «The Economist», Sachs préconise quatre mesures susceptibles de changer la «situation intolérable des pays pauvres hautement endettés».
La première mesure impliquerait la fin du G8. Le fameux sommet des riches auquel participent les sept pays les plus industrialisés et la Russie devrait être remplacé par un G16 qui engloberait aussi de nouvelles démocraties telles que le Brésil, la Corée du Sud, l’Inde, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Ces pays permettrait de faire entendre la voix des régions en développement.
Jeffrey Sachs propose aussi de mobiliser les ressources de la science et de la technologie pour combattre les problèmes auxquels sont exposés les pays les plus pauvres. Cette mobilisation pourrait se faire par le biais des agences de l’ONU, avec la pleine contribution financière des Etats-Unis. Le professeur de Harvard suggère la création d’un «Fonds du millénaire pour la vaccination», qui garantirait aux industries pharmaceutiques un marché pour les vaccins contre la tuberculose, la malaria et le sida. Un tel système, aisément réalisable, écrit-il, pourrait ensuite financer les biotechnologies destinées à l’agriculture.
La troisième mesure de Jeffrey Sachs concerne la propriété intellectuelle. Depuis quelques années, les multinationales et les institutions des pays riches ont la manie du brevetage. Elles déposent des brevets sur n’importe quoi, depuis le génome humain jusqu’à la biodiversité des forêts. Si ce système n’est pas révisé, les pays pauvres se feront forcément arnaquer, écrit-il.
Enfin, et c’est la dernière mesure préconisée par Jeffrey Sachs, un mode de financement doit rapidement être trouvé pour financer la recherche scientifique destinée aux pays en développement. C’est à la fois le plus difficile et le plus urgent. Le Professeur de Harvard suggère notamment l’instauration d’une taxe globale sur les carburants fossiles, qui, même minime, permettrait déjà de renflouer les caisses de l’OMS.
Et si le début d’un nouveau millénaire représentait la date-symbole idéale pour le lancement du programme? Qu’un magazine aussi libéral que The Economist se fasse le porte-voix de ce nouvel interventionnisme constitue déjà une mini-révolution. Même si l’hebdomadaire britannique a toujours su, il est vrai, porter un regard clair et exigeant sur les vrais problèmes de la planète.
