Après les succès internationaux de musiciens comme Luciano ou Miss Kittin, une compilation rassemble les nouveaux talents de la scène électronique.
S’il fallait dessiner la carte mondiale des nouvelles musiques électroniques, on verrait apparaître un point rouge vif et clignotant à l’extrémité ouest du Léman. Impossible de le rater: son intensité n’a cessé d’augmenter depuis une dizaine d’années, à mesure que les DJ et musiciens comme Miss Kittin, Luciano ou Plastique de Rêve multipliaient les productions d’avant-garde. Aujourd’hui, la scène genevoise figure parmi les plus visibles et les plus respectées d’Europe: ses disques animent les «dancefloors» de Tokyo à Buenos Aires. Pourtant, malgré ces succès à l’étranger, le public genevois ignore souvent que sa ville héberge quelques-uns des laborantins électroniques les plus inspirés du moment.
C’est que ces musiciens aiment rester discrets. Plutôt que de jouer la carte commerciale, ils préfèrent poursuivre leurs expériences sur les circuits parallèles. La reconnaissance de leurs pairs compte davantage pour eux que les passages radio ou les chiffres de vente. Et tant pis si cette intransigeance les maintient à l’écart des hit-parades: elle leur garantit une réputation sur le long terme.
La sortie début décembre de la compilation «Tales of Unrest» devrait dans tous les cas faire rayonner la scène. Sous sa pochette austère, ce CD rassemble 11 compositions issues de ce qu’on pourrait appeler la «deuxième vague» des DJ genevois. Car, après les succès du label Mental Groove, dont plusieurs poulains sont désormais exilés à Berlin, c’est une nouvelle école qui s’organise autour de l’agence Imploz et de son mentor Yvan Barbafieri.
Cet économiste veveysan de 36 ans a travaillé pour une grande compagnie d’électricité avant de partir vivre deux ans dans la capitale allemande. A son retour à Genève, il a créé son agence qui assure la promotion de plusieurs labels locaux, ce qui lui a donné un rôle central dans la communauté. «Si nous publions aujourd’hui cette compilation, dit-il, c’est pour financer la promotion des artistes. Nous voulons pouvoir acheter des publicités dans des revues allemandes comme De-Bug ou Groove Magazin, pour mieux faire connaître nos productions.»
Se faire connaître, d’accord, mais sans racolage. Avec sa perspective de colonnades beiges et ses mégaphones, la pochette de la compilation évoque à première vue un monument d’architecture mussolinienne. «En fait, la photo a été prise aux Bains des Pâquis, dit Yvan Barbafieri en riant. Nous avons trouvé que cette image décalée correspondait bien à notre approche musicale.» Présenter la face grave et géométrique d’un univers de détente. C’est effectivement l’approche qu’ont privilégiée les musiciens de «Tales of Unrest». L’atmosphère est déshumanisée, faite de sonorités postindustrielles et de rythmiques d’une netteté étonnante, à égale distance de la house minimaliste et de la techno abstraite.
Cette approche radicale est assumée par la plupart des musiciens et DJ présents sur l’album. Ils ne cherchent pas à plaire au plus grand nombre, mais simplement à faire avancer la musique d’avant-garde qui les a influencés. «Au niveau technique, les musiciens de cette deuxième vague sont vraiment très doués, dit Yvan Huberman, responsable de Basic.ch, la radio en ligne qui a placé Genève sur la scène électronique internationale. Ils travaillent davantage le son et la rythmique que la mélodie, ce qui peut donner un aspect aride à leur musique. Mais cette atmosphère sombre me semble de saison…»
Au chapitre financier, l’agence Imploz a payé le pressage en Roumanie de 1000 compilations avec un budget d’environ 3000 francs, sans la moindre subvention. Elle va en écouler 250 exemplaires en Allemagne par le biais du distributeur Neuton, ce qui lui permettra de récupérer la mise de départ. Chaque vente supplémentaire pourra alors générer un petit bénéfice. La Fnac en prendra une centaine en dépôt, les magasins spécialisés zurichois une trentaine, entre autres. «Dans le meilleur des cas, nous allons faire 2000 francs de profit, prédit Yvan Barbafieri. Cela nous suffira à acheter quelques espaces de pub.»
Cette approche qui préfère l’authenticité aux plans de marketing a déjà fait ses preuves: les DJ de la première vague genevoise ont toujours refusé les concessions, et ça ne leur a pas si mal réussi. Miss Kittin est devenue une égérie de Karl Lagerfeld, Luciano a été sélectionné «disque du mois» par le prescripteur de tendances «i-D» et Dave The Hustler a coproduit le disque de Puff Daddy…
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Fiches électroniques
Portraits de six musiciens présents sur la compilation «Tales of Unrest».
Lee van Dowski

Nom? «C’est mon vrai nom, orthographié différemment.»
Né? «En 1977 dans l’Ain (F).»
Une influence? «Pierre Henry.»
Gagne-pain? «Je ne vis pas complètement de ma musique, malheureusement. Je suis ingénieur du son, je travaille dans un magasin.»
Approche? «J’ai longtemps eu un home studio. Ce n’était pas évident avec deux enfants à la maison. Maintenant, je travaille seulement avec un laptop. C’est plus ergonomique.»
Reconnaissance? «Pour le dernier Cadenza 3, on a été listés dans Top 5 d’Alex Patterson, de The Orb.»
Altermondialiste? «Non. J’ai du respect pour eux, mais je suis pessimiste.»
A découvrir «Sur www.cadenzarecords.com et www.mentalgroove.ch»
Chaton

Nom? «C’est l’abréviation de mon nom.»
Né? «En 1974, à Megève.»
Une influence? «Monolake (Basic Channel).»
Gagne-pain? «Disquaire chez Mental Groove. J’ai commencé il y a dix ans comme DJ dans les raves et je me suis mis à produire mes propres morceaux sur un laptop, avec sampler et boîte à rythme.»
Approche? «Eclectique. En duo avec Hopen, on travaille l’un après l’autre sur un morceau, puis on mixe ensemble. Il fait de la musique à écouter, et moi, c’est plutôt le dancefloor.»
Reconnaissance? «Matthew Johnson m’a mis sur sa play-list cet été.»
Altermondialiste? «Pas du tout.»
A découvrir «Le 4 décembre à Annecy. Et sur www.plak-records.com»
Hopen

Nom? «Je l’ai choisi parce qu’il mélange hope (espoir) et open (ouvert), avant d’apprendre qu’il est aussi celui d’une île norvégienne habitée par quatre météorologues qui ne communiquent que par radio. Cette image correspond bien à ma musique.»
Né? «En 1969, en France.»
Une influence? «Le label Subrosa.»
Gagne-pain? «Graphic designer, en free-lance. J’ai déjà sorti deux albums, mais mon but n’est pas de vivre de ma musique: je préfère ne pas être obligé de produire des trucs putassiers, ni même séduisants.»
Approche? «C’est le son qui me guide.»
Reconnaissance? «Ellen Alien m’a mis sur sa play-list. Un honneur.»
Altermondialiste? «Plutôt, oui.»
A découvrir «Sur mon site www.hopen.free.fr ou en janvier au Point Ephémère, à Paris.»
Mirweis Sangin

Né? «En 1976 à Kaboul (Afghanistan), arrivé en Suisse en 1988.»
Une influence? «Matthew Herbert.»
Gagne-pain? «Mon but n’est pas de gagner de l’argent avec la musique. Je gagne ma vie ailleurs, en faisant de la recherche à l’EPFL, sur les nouvelles technologies appliquées à l’enseignement.»
Approche «Je me considère comme un marginal. J’enregistre chez moi et dans un local au Flon. Sur un PC, mais ce n’est pas le même que pour mes études.»
Reconnaissance? «Jeff Mills et Richie Hawtin ont passé mon disque.»
Altermondialiste? «Oui, on ne peut pas y échapper.»
A découvrir «Le 27 novembre au Paradox de Neuchâtel et le 3 décembre à l’Atelier Volant de Lausanne.»
Quenum

Nom? «C’est mon nom, Philippe Quenum.»
Né? «En 1965 à Lyon. J’ai aussi habité en Côte d’Ivoire, en Norvège et dix ans à Londres.»
Une influence? «Fela Ransome Kuti.»
Gagne-pain? «Je gagne ma vie avec ma musique. J’ai monté le label Cadenza avec Luciano. On peut faire de la musique qui marche tout en restant pointu.»
Approche? «Je peux pianoter, mais je n’ai pas de formation musicale. J’adore travailler en duo, notamment avec Pierre Audétat.»
Reconnaissance? «A Londres, Robert Hood avait passé un de mes titres, ça m’avait beaucoup touché.»
Altermondialiste? «Un peu. C’est surtout l’uniformisation des cultures qui me dérange.»
A découvrir «En live les 3 et 4 décembre au Théâtre 2.21 à Lausanne. Et sur www.cadenzarecords.com»
Agnès

Nom? «C’est en référence à une fille rencontrée à Stockholm.»
Né? «En 1975 à Fribourg.»
Une influence? «Roman Flügel.»
Gagne-pain? «Je travaille dans l’informatique. Ça m’évite de faire des compromis avec ma musique, puisque je n’ai pas besoin de gagner ma vie avec elle.»
Approche? «Je travaille avec un desktop, des boucles, des microsamples et des voix rythmiques. Essentiellement seul. Je fais de l’abstract house, mais je me suis aussi essayé à l’abstract hip-hop. Les gens ont adoré.»
Reconnaissance? «Luciano m’a «charté» (sélectionné, ndlr) dans le magazine Groove.»
Altermondialiste? «Oui, je me reconnais dans ce mouvement.»
A découvrir «Le 28 novembre à Vienne et le 2 décembre à Munich. Et sur www.sthlm.ch»
