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Kremlin ou Maison Blanche, qui contrôlera l’Ukraine

Partie de bras de fer de première importance géostratégique en Europe orientale ces jours-ci: il s’agit de savoir qui du Kremlin ou de la Maison Blanche pourra contrôler l’Ukraine. Ou, en d’autres termes, de vérifier si la sphère d’influence de Moscou sur l’espace slave va encore se rétrécir. Car derrière le sort de l’immense Ukraine (50 millions d’habitants, des ressources énormes), se cache aussi celui de la Biélorussie et de la Moldova.

Les deux tours de l’élection présidentielle ont clairement montré les limites de la démocratie ukrainienne: malgré une fraude massive, admise par les observateurs européens, la commission électorale de Kiev a tout de même dû, après une dizaine de jours de réflexion manipulatrice, admettre la victoire du candidat pro-occidental Viktor Iouchtchenko, dont le succès n’a été reconnu du bout des lèvres: il a officiellement été crédité d’un demi point d’avance (39.87% des voix contre 39.32).

Au moment où j’écris ces lignes, cette même commission n’a pas encore proclamé les résultats du second tour. S’il ne fait aucun doute que Iouchtchenko a gagné dans les urnes, il est tout aussi certain que le vainqueur effectif sera désigné par Bush et Poutine. Mais avec une variable indépendante de leur volonté, l’attitude de la population.

C’est là que le jeu est délicat car les Ukrainiens ont évolué depuis la fin de l’Union soviétique. En treize ans – l’indépendance ukrainienne date de 1991 – les citadins ont eu accès aux médias internationaux par le satellite ou l’Internet et une bonne partie d’entre eux ont même pu découvrir physiquement l’Europe occidentale: des dizaines de milliers d’Ukrainiens vont et viennent de l’Italie, de l’Espagne ou du Portugal où ils vont gagner quelques sous en faisant les travaux ingrats.

A la longue, cela modifie des comportements, élargit la conception du monde, créée une nouvelle culture politique. Or chacun de ces migrants influence chez lui non seulement sa famille, mais des villages entiers qui n’acceptent plus de manière aussi résignée une pauvreté endémique séculaire.

Entre le passé qu’ils connaissent (symbolisé par Poutine) et un avenir qu’ils espèrent souriant (Iouchtchenko), leur cœur ne balance pas. Ils choisissent l’avenir et la nouveauté. Non sans traîner derrière eux le formidable poids que représente, en Ukraine occidentale, un nationalisme virulent, antisémite et xénophobe.

Depuis plusieurs années, les Etats-Unis interviennent de manière plus ou moins feutrée dans la politique intérieure ukrainienne. Iouchtchenko lui-même, quoique issu du sérail communiste traditionnel (il a présidé la Banque nationale dans les années 1990 avant de devenir premier ministre de 1999 à 2001) est très branché sur les Etats-Unis et surtout sur la puissante communauté américano-ukrainienne dont il a épousé une ressortissante.

On parle beaucoup ces jours-ci d’une répétition des modèles serbes et géorgiens ou des manifestations de rue finalement peu violentes ont poussé les vieux apparatchiks vers la sortie. C’est oublier qu’il s’agissait de petits pays. L’Ukraine a une toute autre envergure. Déclencher une épreuve de force pour l’amener dans l’orbite occidentale malgré la volonté du Kremlin peut fort bien entraîner son éclatement, les populations russophones de l’est et du sud (les ex-soviétiques) habituées depuis des décennies à dominer l’Ukraine n’ayant pas envie de se retrouver minoritaires dans un pays dont elles produisent l’essentiel des revenus.

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Le mercredi 24 novembre, 17 h 30, à la FNAC Lausanne, Gérard Delaloye présente et signe son essai «Aux sources de l’esprit suisse. De Rousseau à Blocher» parus aux Editions de l’Aire.