- Largeur.com - https://largeur.com -

La légalité douteuse du concours de Publisuisse

«1 million de pub TV à gagner.» Le prospectus, alléchant, a été envoyé à tous les clients de Publisuisse. L’idée est originale: pour célébrer ses 40 ans, la régie publicitaire de SSR-SRG Idée Suisse organise un «grand tirage au sort» auxquels tous les annonceurs sont invités à participer. Le principe fonctionne ainsi: pour tout investissement brut de 10’000 francs dans les mois qui viennent, l’annonceur reçoit un billet de loterie.

Une entreprise qui achète pour 150’000 francs de spots télé avant la fin février obtiendra donc 15 billets. Le 14 avril aura lieu un grand tirage au sort avec, à la clé, un total de 1 million de francs d’espaces publicitaires sur les chaînes nationales suisses.

Seul problème: cette pratique, qui s’apparente à une loterie, est illégale. La Police du commerce vaudoise le confirme: «Une telle opération est interdite, dès lors qu’elle n’est pas organisée dans un but d’utilité publique ou de bienfaisance», dit Alain Jeanmonod, chef de la Police cantonale vaudoise du commerce. Selon la loi sur les loteries, on considère comme illégal un jeu «auquel ne peuvent participer que les personnes ayant fait un versement ou conclu un contrat, et qui font dépendre l’acquisition ou le montant des prix pour une large part du hasard».

Des conditions clairement remplies par le jeu de Publisuisse, selon Alain Jeanmonod, qui ajoute: «Nos services se considèrent dès aujourd’hui comme saisis et nous allons agir en les dénonçant pénalement auprès de la police cantonale concernée.» La régie de la SSR, dont le siège est à Berne, risque 10’000 francs d’amende, et sa direction trois mois d’emprisonnement. «Le montant de l’amende est malheureusement très faible, car la loi est ancienne, et il est possible que l’organisateur du jeu ait choisi sciemment de détourner la loi, au risque de se faire amender. En cas de peine de prison, on se tournera vers la direction.»

«Que la Police m’accompagne en prison!, lance Othmar Stadelmann, membre de la direction de Publisuisse. Nous avons bien sûr vérifié la légalité de l’opération avec nos services juridiques avant de lancer notre concours. En fait, ce jeu ne s’adresse qu’à une très petite population: notre base de clients, qui sont environ 700. Nous donnons à chacun un billet gratuit en guise de cadeau pour notre jubilé. Nous offrons des tickets supplémentaires, pour récompenser ceux qui achètent de la publicité pendant les mois qui viennent. Certes, les nouveaux clients auront le droit de participer, mais ce jeu n’est pas conçu spécifiquement pour élargir notre clientèle. Par ailleurs, les gains ne sont pas versés en cash mais en nature, sous forme de prestations.»

«Dans la mesure où l’espace publicitaire possède une valeur marchande équivalente à de l’argent, cela s’apparente à une loterie, répond Marc Schwenninger, juriste de Publicité Suisse, l’organe faîtier du secteur. Mais la loi a essentiellement pour but de protéger le grand public du démon du jeu. Or dans ce cas précis, on voit clairement que ce concours s’adresse à des professionnels, conscients de ce qu’ils font. Mais je suis très heureux que ce cas soit porté devant la justice car son issue est loin d’être claire.»

Comme dans chaque loterie, reste au joueur à évaluer ses chances de gain. Si l’on se base sur les réservations 2003 de Publisuisse, environ 5500 billets seront distribués aux annonceurs en janvier et février, auxquels s’ajoutent les 700 billets offerts aux clients de cette année. Quarante participants seront tirés au sort pour des gains allant de 10’000 à 300’000 francs. Leurs chances de remporter davantage que leur mise initiale de 10’000 francs atteignent environ 1/620…

—–
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 11 novembre 2004.