Dans son journal, l’écrivain anglaise décrivait «la mort du monde».
Tout, au loin, n’était plus qu’un nuage immense, très beau, aux teintes délicates. On ne distinguait plus rien à travers le nuage. Les vingt-quatre secondes d’éclipse totale touchaient à leur fin.
Alors je regardai à nouveau le bleu derrière moi; presque aussitôt et rapidement, très rapidement, toutes les couleurs s’effaçaient; il faisait de plus en plus sombre, comme à l’approche d’un violent orage; la lumière baissait, baissait. On se disait: c’est l’ombre; et on pensait que c’était fini; et puis brusquement la lumière s’éteignit. Une chute.
Tout était éteint; toute couleur avait disparu. La Terre était morte. Ce fut un instant poignant, mais ensuite, à la manière d’une balle au rebond, la couleur réapparut sur le nuage, mais cette fois, une couleur étincelante, éthérée; et ainsi la lumière revint.
Au moment où elle s’était éteinte, j’avais ressenti avec force l’impression d’une immense soumission. Quelque chose s’était agenouillé, incliné, pour brusquement se relever au retour des couleurs. Elles revinrent, légères, rapides et d’une surprenante beauté; d’abord avec un je ne sais quoi de scintillant, d’impalpable qui tenait du prodige, presque normales ensuite, mais accompagnées d’un intense soulagement. On aurait cru à une guérison. Et nous avions été beaucoup plus malades que nous le pensions. Nous avions vu la mort du monde. (Jeudi 30 juin 1927)
Extrait du Journal de Virginia Woolf, aux éditions Stock.
