LATITUDES

Zone industrielle cherche urbanistes visionnaires

Le canton a trouvé la solution à sa crise du logement: un déclassement de la parcelle industrielle Praille-Acacias permettrait la création de 20’000 appartements.

Et si l’on autorisait la construction d’appartements sur la parcelle Praille-Acacias? A la simple évocation de l’idée, les locataires genevois se mettent à rêver de lofts new-yorkais; les urbanistes s’emballent pour ce qu’ils appellent une zone mixte (entreprises et appartements); et les pouvoirs publics commencent à calculer les bénéfices qu’ils trouveraient dans l’opération.

«En termes de transports urbains, de croissance économique et de revenus fiscaux, le déclassement de cette zone ne présenterait que des avantages», jubile Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse, le laboratoire à idées des grandes entreprises du pays.

Situé au sud-ouest de Genève, à quelques minutes du centre-ville, le quartier industriel Praille-Acacias n’a rien de bucolique mais, avec un minimum d’aménagements, il pourrait se transformer en une zone d’habitation relativement attrayante — compte tenu de la pénurie d’appartements qui frappe le canton. Les professionnels imaginent qu’on pourrait y construire jusqu’à 20’000 logements, tout en y conservant une activité économique.

Il suffit de se balader de part et d’autre de la route des Acacias pour comprendre que l’endroit est en train de bouger. En dehors des heures de bureau, la zone est déjà animée par plusieurs centres sportifs (Praille, Vernets, queue d’Arve) et quelques lieux culturels (Théâtres du Loup et de la Parfumerie).

Surtout, une nouvelle ligne de tram permettra bientôt aux milliers d’employés de Rolex (qui agrandit son siège mondial) et de la Banque Pictet & Cie (qui construit là son nouveau siège) de rejoindre la gare Cornavin en moins d’un quart d’heure. Bref, il ne manque plus que quelques immeubles locatifs pour que ce quartier commence à s’épanouir, à l’image du Kreis 5 de Zurich ou des quais de la Tamise que le maire de Londres a transformés en zones mixtes.

«C’est dans ce quartier des Acacias que se situe le futur centre-ville de Genève, dit l’architecte et député René Koechlin. Avec un accès direct à l’autoroute, les nouvelles lignes de tram et la liaison RER, cette zone pourrait devenir le «downtown Geneva». Mais pour cela, il faudrait qu’un visionnaire s’en empare, avec un véritable projet à long terme.»

Or du côté du Département cantonal de l’aménagement, on préfère énumérer les obstacles techniques plutôt que d’imaginer une nouvelle affectation à l’endroit. «Les promoteurs de cette idée de zone mixte négligent complètement les obstacles juridiques ainsi que les problèmes de nuisances sonores», estime Gilles Gardet, directeur de l’aménagement du territoire.

Les professionnels de l’immobilier, en revanche, trouvent l’idée plutôt séduisante. «Il faut reconnaître que les nuisances liées à l’industrie ont nettement diminué ces dernières années, dit Jean-Raoul Haeberli, directeur de la régie Brolliet. L’idée de construire des logements dans ce quartier est excellente. Mais sur le plan juridique, cela va être un vrai parcours du combattant…»

C’est un organisme public, la Fondation des terrains industriels (FTI), qui gère cette immense parcelle de plus d’un million de mètres carrés. «La zone accueille actuellement 848 entreprises pour 11’648 emplois, annonce son directeur, Philippe Moeschinger. Et nous recevons chaque jour des demandes de compagnies qui veulent s’y installer. Il est vrai que les loyers sont très avantageux: entre 10 et 20 francs le mètre carré, alors que, pour un tel endroit, on pourrait imaginer des prix allant de 700 à 1000 francs le mètre carré.»

La question est dès lors de savoir si les pouvoirs publics doivent continuer à brader les loyers industriels du centre-ville, ou si, au contraire, ils ne devraient pas plutôt encourager les entreprises gourmandes en surface (entrepôts, vendeurs de voitures, etc.) à s’implanter un peu plus en périphérie pour libérer des espaces locatifs.

Un projet de loi (PL 9158) allant dans ce sens a été déposé au Grand Conseil. Il doit être discuté la semaine prochaine par des représentants de l’Exécutif cantonal et communal, Carlo Lamprecht et Christian Ferrazzino.

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Une version de cet article a été publiée dans L’Hebdo du 2 septembre 2004.