Confrontés à des situations très délicates, les gouvernements russe, italien et français ont réagi de manière tantôt désastreuse, tantôt honorable. Et qu’a fait l’Union européenne? Rien.
C’est dans les périodes de crise aiguës que l’on peut juger de la qualité des «gouvernances», pour reprendre un terme la mode. Or les crises, ces jours-ci, ne manquent pas.
Dans le Caucase, l’offensive tchétchène d’automne est en train de gâcher les vacances du suave Poutine qui pensait pouvoir taquiner en paix les méduses sur les rives de la mer Noire. Hélas! les catastrophes se multiplient: avions descendus en plein vol, bombes explosant sur les marchés, soldats russes sautant sur des mines avec les leurs blindés, prises d’otages massives scandent de jour en jour, presque d’heure en heure, l’échec de sa politique.
Mais le grand petit homme n’en a cure: il maintient suavement un cap qui ne peut qu’entraîner de nouvelles calamités. Maître à Moscou, il ne souffre d’aucune contestation à l’extérieur. Puisqu’il lutte contre le «terrorisme aveugle», il est assuré du soutien des voix qui comptent dans le monde: les Etats-Unis, les Etats de la nouvelle ou de la vieille Europe, mais aussi les Nations Unies. Pas de débats en vue à New York pour tenter de s’interposer dans un conflit qui met aux prises depuis si longtemps l’immense Russie et la minuscule Tchétchénie, région plus petite et moins peuplée que la Suisse romande.
En Irak, les réactions aux récentes prises d’otages de journalistes jettent aussi une lumière crue sur la politique de certains gouvernements. L’enlèvement du journaliste Enzo Baldoni n’a suscité chez Silvio Berlusconi qu’un très léger mouvement du petit doigt. Une ébauche de geste humanitaire, une esquisse minime de solidarité. Un rien si nul que notre malheureux confrère a pu être occis par l’Armée islamique sans que sa mort ne suscite dans les milieux officiels italiens autre chose qu’un silence gêné noyé dans des larmes de crocodiles.
Il faut dire que ce malheureux ne cachait ni son pacifisme ni son tiers-mondisme, des déviations idéologiques que le Signor Berlusconi abomine. Car il ne faut pas se tromper: le chef du gouvernement italien est en place pour faire du business, pas du sentiment. Même ses opposants de gauche en sont conscients. Et contaminés: ils ne se sont guère mobilisés pour sauver l’otage. L’Italie, toujours confite dans un catholicisme rétrograde, n’a pas encore intégré ces valeurs républicaines que l’abolition de la monarchie il y a 60 ans aurait dû lui inculquer.
Heureusement que la France est encore capable, de temps à autre — pas toujours! — de sursauts d’une portée morale quasi universelle. C’est en la matière son vieux fond républicain qui se réveille. Un fond moral qui n’a rien à voir avec le fonds de commerce berlusconien.
Confrontée à l’enlèvement des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, elle a répondu haut, fort et d’une seule voix. De Chirac à Hollande, du gouvernement à la société civile, tout le monde s’est mobilisé pour résister au chantage. Barbouzes et diplomates sont partis sur le terrain.
On a vu Barnier causer dans le poste au Qatar, rallier les gouvernements arabes à sa cause, convaincre les franges islamistes extrêmes (Hamas, Djihad) qu’ils faisaient fausse route.
Au moment où j’écris ces lignes, l’affaire n’est pas réglée et le sort des deux otages toujours incertain. Mais même si la conclusion devait être dramatique, Chirac et ses amis pourront au moins affronter la douleur des familles la tête haute, avec le sentiment d’avoir fait le maximum.
Ce qui frappe enfin dans ces affaires, c’est qu’elles concernent toutes des pays européens. Or que fait l’Union européenne? Rien. Je n’ai trouvé sur le site de l’UE qu’un communiqué (en PDF) de son prétendu super ministre des Affaires étrangères, Javier Solanas dont le ton égocentrique et pompeux frise l’indécence:
«J’ai assuré de toute ma solidarité et de mon plein soutien les autorités françaises qui en ce moment même déploient tous les efforts nécessaires pour obtenir la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Tous deux accomplissaient leur mission de journaliste français en Irak. Au travers de la vie de ces deux citoyens européens, sont de nouveau en jeu la liberté d’expression mais aussi les valeurs de tolérance et de respect de l’autre auxquelles tous les Européens sont profondément attachés. C’est pourquoi j’appelle solennellement, en mon nom personnel comme en ma qualité de Haut Représentant de l’Union européenne, à la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot.»
Merci, Monsieur Solanas, pour ce vigoureux engagement en faveur de la liberté! Il n’en fallait pas moins pour que nous autres, humbles militants de la cause européenne, n’ayons pas l’impression de perdre notre temps et notre énergie.
