Les clients ne se contentent plus de chiper une serviette de bain ou un peignoir en quittant leur chambre. Ils dérobent les objets les plus improbables, du miroir jusqu’au drap de lit. Les hôteliers réagissent.
«Cette année, nous avons dû changer trois fois les géraniums devant les fenêtres de certaines chambres. On s’est vite rendu compte que les clients les embarquaient!»
Dans ce grand hôtel lausannois, dont le responsable préfère ne pas être cité, on ne s’étonne plus de ce genre de pratique. Comme dans la plupart des autres établissements hôteliers, la direction constate que certains clients ne se gênent pas pour emporter des souvenirs de leur passage. «Nous servons le petit-déjeuner sur un petit plateau en argent qui disparaît occasionnellement, tout comme la jolie cafetière, d’ailleurs…»
Les peignoirs arrivent en tête du hit-parade des objets volés dans tous les hôtels de luxe. «C’est le grand classique, dit Grégoire Pavillon, directeur marketing du Lausanne Palace. Mais comme ils sont griffés, cela nous fait de la publicité et nous ne disons rien. Les clients emportent aussi souvent les autres objets mis à disposition dans les chambres: cendriers, serviettes de bain, stylos, etc. Dans les hôtels de luxe, une certaine clientèle estime payer assez cher la chambre pour justifier un petit larcin. Parfois, des objets sont dérobés dans les couloirs, comme des lampes, mais là, c’est davantage pour le côté grisant du geste, j’imagine.»
Dans les hôtels de catégorie inférieure, les vols sont encore plus courants et souvent plus insolites. «Un couple anglais est récemment parti avec les draps du lit, raconte Rachid Fida du Savoy, un trois-étoiles à Genève. Comme ils avaient payé cash, on n’a pas pu débiter leur carte et on ne va pas porter plainte à l’étranger.»
Télévision, lampe, tapis, téléphone, tableaux, miroirs, les réceptionnistes des petits hôtels ont tout entendu. «Le plus incroyable que j’ai vu, c’est un client qui a découpé un bout du tapis sous son lit pour l’emporter», raconte le directeur d’un hôtel genevois.
«C’est un cliché que nous n’aimons pas véhiculer, mais les touristes des pays émergents, surtout en Europe l’Est, sont réputés pour les vols», avoue le patron d’un petit établissement aux Pâquis.
Pour lutter contre ce fléau, certains hôtels mettent en place des systèmes de sécurité, dont les minibars électroniques, qui facturent automatiquement le client si une bouteille est soulevée plus de trois secondes. Mais dans les palaces, cela reste inimaginable.
«La clientèle de luxe exige de la confiance, dit Evelina Conti du Richemond. Nous préférons couvrir le vol dans le prix des chambres plutôt que de policer l’établissement.»
A La Réserve, cinq-étoiles genevois, on pousse ce concept encore plus loin. «Nous avons réglé le problème du vol en offrant gratuitement tout le contenu du minibar, explique le directeur Raouf Finan. Nous l’incluons dans le prix de la chambre.»
La stratégie du directeur est la même pour les autres objets. «Le constat est simple: si le client voit un peignoir à 400 francs, la tentation de l’embarquer est plus grande, poursuit Raouf Finan. Le vol de peignoirs a diminué drastiquement depuis que nous les vendons à un prix modique à la réception.»
Avis aux amateurs, La Réserve vend son peignoir 70 francs seulement, soit le prix d’un modèle équivalent à la Placette. «Dans chaque chambre, nous proposons aussi une sélection de livres, dit encore le directeur du palace. Nous les vendons sans marge à la réception, c’est-à-dire au même prix que chez Payot. Sur toute une année, seulement 150 livres ont été volés, et par inadvertance dans la plupart des cas, ce qui est très faible si l’on tient compte du nombre de nuitées.»
Les hôtels souffrent davantage du vol — qui peut rarement être remboursé et doit être facturé à l’avance dans le prix des chambres — que des déprédations sur le matériel.
«Dans une de nos suites, il y a un piano à queue, raconte Grégoire Pavillon du Lausanne Palace. Récemment, un des enfants d’une grande famille arabe s’est amusé à couper les cordes du Steinway avec un ciseau. Nous avons bien sûr facturé la remise en état. La clientèle orientale paie cependant toujours les dégâts sans broncher.»
