De l’armée aux aéroports en passant par le fisc, les Conseillers fédéraux n’ont pas été avares en provocations cet été. Analyse d’une nouvelle forme de communication politique.
La politique est enfin de retour dans le morne paysage confédéral! Un signe avant-coureur en avait été donné l’an dernier par Pascal Couchepin et sa proposition d’élever la retraite à 67 ans. La levée de boucliers provoquée à juste titre par cette sotte proposition compta pour beaucoup dans la défaite radicale aux élections fédérales, mais une nouvelle manière de faire de la politique était née.
Elle se poursuit aujourd’hui sans connaître de trêve estivale.
Hans-Rudolf Merz se permet d’envisager à haute voix une privatisation généralisée de secteurs protégés depuis toujours. Il en rajoute une couche en lançant le débat sur une réforme radicale de la perception de l’impôt.
En sens inverse, Moritz Leuenberger sort tout à coup de sa léthargie pour proposer une nationalisation des aéroports. Pascal Couchepin étale sur la place publique les problèmes qu’il rencontre avec ses hauts fonctionnaires jugés incapables de gérer l’industrie du cinéma.
Même Samuel Schmid, le doux et souriant ourson bernois, se croit obligé de sortir ses griffes pour remettre en question l’armée de milice, pierre angulaire de la Confédération depuis des temps immémoriaux.
Surprenant? Pas vraiment. Dans une société globalisée, un minuscule Etat comme la Suisse ne peut plus échapper aux tendances générales de la politique planétaire. Or l’heure n’est plus aux grands programmes élaborés par des officines partisanes. Les politiciens règnent en humant l’air du temps, en faisant des coups médiatiques qui maintiennent (ou non) leur popularité au sommet des sondages.
Il ne faut plus se faire oublier pour agir mais bien brasser de l’air pour ne pas se faire oublier. Bush, Blair, Berlusconi, Sarkozy sont passés maîtres en la matière. Nos augustes magistrats ne font que suivre leur exemple, la prime de la rapidité d’adaptation revenant sans conteste à Couchepin.
Cette évolution de la politique doit beaucoup aux médias qui guettent avec beaucoup plus d’attention et de constance que naguère les pas et faux-pas des gouvernants. Mais en profondeur, elle traduit une mutation radicale de la donne politique dans deux domaines.
La première est celle que j’appellerai la fausse alternance. Que les systèmes nationaux soient fondés sur deux partis (comme aux Etats-Unis) ou sur plusieurs (comme en Europe), il n’en reste pas moins que les marges de manœuvre de la «droite» et de la «gauche» se sont réduites à un point infinitésimal. La forme prime désormais sur le contenu.
Vu l’état des rapports mondiaux, c’est normal: les décisions importantes sont le fait de conglomérats transnationaux dont le privilège essentiel est d’échapper à toute sanction démocratique. En ce moment même, l’économie mondiale est plombée par l’envol des prix du pétrole, et aucun Etat n’a de prise sur l’or noir.
La deuxième est sociologique. Dans les pays industrialisés, la structure de classe s’est polarisée au point de retrouver quasiment la division médiévale en trois états. A une frange très riche monopolisant le pouvoir réel s’oppose une masse paupérisée et dépourvue de fait de droits politiques. Entre deux, une classe moyenne unifiée, tertiarisée et consommatrice à outrance se donne l’impression de peser électoralement tout en pratiquant un hédonisme perçu comme un droit fondamental.
C’est elle que nos politiciens visent par leurs coups médiatiques. Les uns et les autres ont ainsi l’impression de participer au jeu démocratique. Ils n’ont pas tort. C’est effectivement un jeu innocent. Estival pour tout dire.
