La France vient de se déclarer favorable à l’extradition vers l’Italie du militant gauchiste. Devenu écrivain, il mérite qu’on lui fiche la paix, estime Gérard Delaloye.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris s’est déclarée mercredi 30 juin favorable à l’extradition vers l’Italie de Cesare Battisti, ancien militant d’extrême-gauche, réfugié à Paris et condamné dans son pays à la prison à perpétuité pour meurtre. L’affaire n’est pas terminée pour autant.
Avant l’audience, l’un des avocats de Battisti, Me Irène Terrel, avait annoncé qu’en cas d’avis favorable de la cour d’appel, elle formerait un pourvoi en cassation. En dernier ressort, il appartiendra à l’exécutif de prendre ou non la décision d’extradition par décret. Les défenseurs de Battisti auront alors la possibilité de faire un recours devant le Conseil d’Etat.
Cesare Battisti a été condamné à perpétuité par contumace par la cour d’assises de Milan le 31 mars 1993 pour le meurtre d’un gardien de prison en juin 1978 à Udine (nord-est), d’un agent de police en avril 1979 à Milan, d’un militant néo-fasciste le 16 février 1979 à Mestre (nord-est) et pour complicité de l’assassinat, le même jour, à Milan, d’un bijoutier tué par balles alors qu’il se promenait avec ses fils dont l’un est resté paraplégique. Cette condamnation est intervenue sur la base du témoignage d’un repenti. Un seul. Un homme qui, en raison des lois d’exception votées à l’époque par le parlement italien, a obtenu l’absolution du tribunal pour les délits dont il était accusé.
Depuis des mois, une vive polémique oppose les défenseurs français de Cesare Battisti – des intellectuels, des écrivains et des personnalités de droite auxquels s’ajoutent les organisations et partis de gauche – aux forces politiques italiennes, gauche et droite confondues.
A Paris prédomine la défense du refuge accordé il y a plus de 20 ans par le président Mitterrand à des militants italiens poursuivis dans leur pays dans le cadre de diverses procédures antiterroristes. A Rome, on estime que la justice italienne vaut celle de la France et qu’il n’y a aucune raison pour que le fait du prince (la décision de Mitterrand) protège des délinquants. La gauche italienne s’est montrée particulièrement virulente contre la France dans l’affaire, soulignant le fait que Battisti avant d’être un militant politique était une petite frappe déjà condamnée pour des délits de droit commun.
Monsieur de La Palice dirait qu’il s’agit d’un débat éminemment politique. Je lui emboîte le pas sans rougir. Un gouvernement français de droite sollicité par un gouvernement italien encore plus à droite lui accorde une faveur. Les deux gouvernements se positionnent à bon compte sur le dos d’un individu au parcours atypique mais emblématique des années d’après Mai 68. Ils le font dans un contexte politique global où la chasse aux terroristes a pris la forme d’une hantise qui nous renvoie directement aux chasses aux sorcières moyenâgeuses.
La gauche italienne toujours hégémonisée par des cadres de l’ancien parti communiste commence seulement à émerger du coma profond où l’ont plongée les victoires de Berlusconi, Fini et Bossi. Elle ne peut se permettre de donner à l’homme qui contrôle la quasi totalité des médias transalpins l’occasion de marteler dans sa propagande une quelconque connivence avec le terrorisme.
Mais il y a plus: alors que la gauche extra-parlementaire comme on disait naguère a perdu (hormis le pacifisme et l’altermondialisme) toute influence politique, la gauche institutionnelle a carrément subi une involution conservatrice.
Sans programme de gouvernement, sans alternative politique, elle se contente de coller de près aux erreurs de Berlusconi sans gagner pour autant une autonomie politique tout en gagnant les élections. Cette carence se manifeste ces jours-ci par le poids de plus en plus grand à la tête de la gauche d’un homme comme Romano Prodi, prototype du politicien démocrate-chrétien à l’ancienne.
En prenant un peu de recul, une conclusion s’impose: après le traumatisme causé par la chute des maisons DC et PCI dans les années 1990, l’irruption de Berlusconi sur la scène politique n’a fait que retarder une recomposition espérée par tous. Aujourd’hui, le déclin du berlusconisme annoncé par des échecs électoraux à répétition (dimanche dernier, il a encore perdu son fief milanais) devrait libérer ce processus et permettre un reclassement politique. Or ce qui se dessine, tant dans la coalition des droites que dans celle de centre-gauche, c’est un retour en force des anciens démocrates-chrétiens.
Et Battisti? Il est condamné à ramer à contre-courant. En trente ans, la situation politique a tellement évolué qu’il devient pratiquement impossible de rappeler les espoirs soulevés par les luttes des années 70 sans passer pour un cinglé ou un dangereux utopiste.
Qui se souvient qu’à l’époque la gauche extra-parlementaire a lutté, parfois avec succès, pour une prise en considération des marginaux et des déviants, pour l’ouverture des asiles psychiatriques, pour une réintégration (à partir de la politique) des prisonniers de droit commun? Il n’y avait pas de pays sans des «groupes d’action prisons» qui visaient à donner aux détenus de réelles possibilités de réinsertion sociale.
Aujourd’hui, les taux d’occupation des établissements pénitentiaires, en France comme en Italie et ailleurs, atteignent des sommets vertigineux – entre 200 et 250% – dans l’indifférence générale. Faute de conscience politique, comme on aurait dit dans un langage qui passe aujourd’hui pour celui des hommes des cavernes.
A un certain moment dans sa vie de délinquant, Cesare Battisti s’est rendu compte qu’il faisait fausse route. A un certain moment , il a eu une prise de conscience politique et s’est lancé dans un combat politique. C’était il y a trente ans. Puis, comme disaient les militants italiens, il s’est retiré à «vita privata» en écrivant des romans policiers à succès. Je ne crois pas à la rédemption religieuse, mais je pense que, pour utiliser des mots d’aujourd’hui, la rédemption citoyenne existe. Pour cette raison, Battisti mérite qu’on lui fiche la paix en le laissant poursuivre son œuvre littéraire.
