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Poutine et les frontières de l’ancien empire

Le président russe doit se méfier de la frontière sud de la Tchétchénie, mais aussi de son front occidental: ça bouge sur les rives du Dniestr.

Il a fallu qu’en début de semaine la résistance tchétchène lance une série d’attaques d’envergure contre l’armée russe en Ingouchie pour que le monde se souvienne que tout ne va pas pour le mieux dans l’empire poutinien. La Tchétchénie est détruite, mais les Tchétchènes s’entêtent à survivre. Et, parmi eux, quelques-uns à combattre.

Comme lors de chacune des actions d’éclat réalisées par ces desesperados de l’indépendance, les grands médias internationaux vont consacrer quelques articles à l’affaire, déplorer le risque d’embrasement du Caucase, puis s’incliner obséquieusement devant le président Poutine, grand organisateur de ce désastre. Jusqu’à quand?

La cause tchétchène n’est populaire ni en Russie, ni ailleurs dans le monde. Depuis deux siècles que les habitants de ces montagnes mènent la vie dure à l’envahisseur russe, ils n’ont gagné qu’une solide réputation de bandits de grands chemins, d’égorgeurs d’enfants, de massacreurs d’innocents alors que ce sont les soldats russes qui tiennent les chemins, égorgent non seulement les gosses mais aussi leurs mères et massacrent allègrement tout ce qui bouge.

A court terme, à moins qu’il n’y ait de sérieuses révoltes au sein même de l’armée russe (comme ce fut le cas lors de la guerre d’Afghanistan), il y a peu de chance que cela change.

La nouveauté pourrait venir d’ailleurs. Poutine est gêné aux entournures, sur les frontières de l’immense empire dont il a miraculeusement hérité en hiver 1999. En Asie centrale, les anciennes républiques soviétiques sont tombées sous influence américaine et sont travaillées en profondeur par des mouvements islamistes qui maintiennent en permanence le pouvoir sous pression. Encore très présents, les Russes font le gros dos en attendant des jours meilleurs.

Par contre, à la frontière sud de la Tchétchénie et de l’Ingouchie, la Géorgie se dégage avec détermination de l’influence russe. Le nouveau président, Mikhaïl Saakachvili, porté au pouvoir par une révolution de palais fermement soutenue par Washington, a repris dimanche dernier le contrôle d’une province dissidente pro-russe, l’Adjarie, d’une importance capitale pour le contrôle de l’accès à la mer Noire et l’acheminement du pétrole de la Caspienne vers l’Occident.

Saakachvili avait à peine servi le champagne de la victoire qu’il lorgnait déjà vers une autre province dissidente, l’Ossétie du sud qui commande une passe importante à travers la chaîne du Caucase. Ensuite, ce sera le tour de l’Abkhazie qui a proclamé son indépendance (grâce à la présence d’une base russe) il y a douze ans. On ne voit pas comment aujourd’hui Moscou pourrait s’opposer à cette normalisation géorgienne. A moins que ce ne soit Moscou justement qui cherche à élargir le conflit tchétchène à tout le Caucase dans l’espoir de mieux pouvoir défendre ses bastions…

Sur le flanc occidental de la Russie, la situation est elle aussi très complexe. Pour le moment, l’évolution est gelée grâce à la mainmise de trois régimes de type national-communiste sur la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie. De plus, la Russie contrôle toujours la Transnistrie, une petite région coincée entre l’Ukraine et la Moldavie, fief de la 14e armée russe.

Cette armée a une double fonction stratégique. Elle sert d’une part de bras avancé pour le cas où il y aurait des problèmes dans les Balkans. D’autre part, elle prend l’Ukraine en tenailles. En principe, mais en principe seulement, la Russie devrait retirer ses troupes en vertu d’un accord russo-moldave supervisé par l’OSCE. Toutefois, la Moldavie étant dominée par des communistes pro-russes, rien ne bouge, le gouvernement s’étant contenté de proposer une fédéralisation du pays.

Moscou ne peut cependant se contenter du statu quo en raison de l’importance de l’Ukraine (50 millions d’habitants, 600000 km2). Une élection présidentielle très disputée s’y déroulera en octobre prochain. Comme le régime du président Leonid Koutchma semble en perte de vitesse face à l’opposition emmenée par son ancien premier ministre Victor Iouchtchenko, libéral et pro-européen, l’entourage de Poutine agite un plan visant à maintenir une présence armée russe sur les rives du Dniestr. Il s’agirait d’accepter le rattachement de l’ancienne Bessarabie (la partie roumanophone de la Moldavie) à la Roumanie en échange de l’indépendance de la Transnistrie. L’appât est lancé.

Assistera-t-on à la naissance d’un nouvel Etat européen?