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Comment accélérer l’Europe des 25

Où va l’Europe? Après le désastreux scrutin du 13 juin, la question hante le continent sans qu’il soit possible de discerner le type de réponse à donner. Et il est peu probable que le sommet européen des 17 et 18 juin permette d’ébaucher des pistes intéressantes. Le moral n’y est pas. Les dirigeants, contestés par leurs électeurs, se contenteront de sauver les apparences. Ce qui n’empêchera pas la machine européenne de tourner, le parlement européen de parloter, la justice de sévir et les immigrés de trinquer.

L’Europe se fait par le haut, c’est une banalité que de le répéter. Mais c’est surtout un fait dommageable à l’idéal. La cour constitutionnelle française vient de reconnaître définitivement la primauté du droit européen sur le droit national, quel sens cela a-t-il si les citoyens n’ont pas été invités à débattre du cadre constitutionnel dans lequel se dit ce droit-là? Pour la première fois dans l’histoire, la justice espagnole a lancé un mandat d’arrêt contre des citoyens français suspectés de sympathies pro-basques. Quel sens cela a-t-il alors que jamais Bruxelles ne s’est intéressé aux Basques?

A cette Europe vécue comme technocratique et privée de bases démocratiques s’ajoutent des problèmes politiques qui eux aussi n’ont pas été discutés comme il convenait. Ainsi l’élargissement à 25 qui s’annonce beaucoup plus difficile à digérer que ne le disaient les négociateurs. Or ce n’est pas faute de comparaison: l’exemple allemand aurait dû être analysé de près. Quinze ans après la réunification et malgré les milliards engloutis dans l’opération, la nouvelle Allemagne ne fonctionne toujours pas et la fracture entre les deux parties du pays est loin d’être réduite.

Cela signifie que l’attitude des Polonais n’est pas due à une saute d’humeur passagère. Elle dépend de leur culture politique, une culture qui ne se décrète pas sur un laps de temps déterminé, mais qui va demander à une ou deux générations de faire un immense effort d’adaptation pour apprendre le civisme (nommé aussi: responsabilité citoyenne), la responsabilité individuelle, l’esprit d’initiative, le refus de la corruption et de la pollution sociale ou environnementale.

Un autre problème politique de fond est celui de la direction politique de l’Union. Nous venons de constater dans la campagne électorale que les dirigeants nationaux ne se préoccupent absolument pas de penser européen. Qu’ils s’appellent Chirac, Blair, Schröder ou Berlusconi, chacun broute dans son pré carré en se gardant de mettre le nez chez le voisin.

A Bruxelles, les commissaires se gardent aussi de faire de la politique européenne et réservent leur énergie pour le secteur qui leur est attribué. On aura même vu un président de la Commission – Romano Prodi – accepter cette fonction pour mieux rebondir chez lui.

Ces dirigeants se sont usés politiquement à la tête de leur Etat national et il est donc vain d’en attendre des initiatives porteuses au niveau continental. Cela signifie que pendant les cinq ou six prochaines années, il ne se passera rien de déterminant au niveau européen, à moins que la situation internationale n’exige des engagements exceptionnels. Cela n’est pas très enthousiasmant.

S’il m’est permis de risquer un embryon d’analyse prospective, j’espère que cette situation remettra sur le tapis la question de la formation d’un noyau dur regroupant les pays fondateurs et quelques proches (Autriche? Espagne?) décidés à accélérer leur intégration et à prendre le leadership politique continental.

Ce noyau dur devrait pouvoir favoriser le développement de sous-ensembles (Europe nordique, centrale, balkanique, méditerranéenne) dont la proximité en matière économique et culturelle comblerait en fin de compte le déficit démocratique qui pèse aujourd’hui à juste titre sur les populations concernées.

L’intégration des pays fondateurs s’est faite lentement, par paliers: il n’y a aucune raison pour que les nouveaux venus très ancrés dans des traditions national(ist)es puissent aller plus vite.

Prenons un exemple concret avec un problème qui sera discuté au cours du prochain semestre: puisque la Grèce soutient avec fermeté (dit-elle) l’entrée de la Turquie dans l’UE, pourquoi la Grèce, la Turquie, Chypre et Malte ne commenceraient-ils pas par apprendre à vivre ensemble pendant quelques années?

La question est encore plus pertinente pour les pays balkaniques qui pourraient ainsi découvrir les vertus d’un fédéralisme démocratique et paisible avant de se servir dans la caisse commune en prétextant de leur statut de victimes sans même avoir essayé de retrousser leurs manches.