- Largeur.com - https://largeur.com -

Ballons vraiment ronds, Lettons béton et crétin romain à l’Euro 2004

Les bookmakers, c’est bien connu, ne sont pas gens à s’émouvoir de la philosophie politique. Comme ils ne connaissent que la vile arithmétique du langage de l’argent, ils estiment les chances des équipes en les étalonnant sur leurs résultats précédents.

A cette aune, la Lettonie est pour eux plus qu’une inconnue. Un hasard, presque un accident. Si bien que la cote des Lettons pour l’Euro 2004 est misérable, avec 100/1 — seule l’équipe de Suisse fait moins mal. (Aussi, pour gagner gros, il faut parier sur une improbable finale Suisse-Lettonie le 4 juillet prochain à 20:45 à Lisbonne).

Mais pour nous, la Lettonie est un miracle. Imaginez: voilà un pays, balte de surcroît, qui n’existait pas en 1990. En 1991, implosion de l’Union soviétique aidant, il fait son apparition sur la scène internationale, drapeau, ambassades à l’étranger, siège à l’ONU et compagnie.

La seule équipe «connue» de cette petite nation, bientôt prospère, est le Skonto Riga, qui échoue en général en 32è de finale de la Coupe de l’UEFA. Seulement voilà, ces dernier temps, les Lettons ont un moral en acier trempé. Ils se qualifient tout d’abord à l’automne dernier pour la compétition portugaise.

Ils adhèrent ensuite à l’Union Européenne, le 1er mai dernier, rejoignant la grande famille européenne dont ils avaient été exclus par le Kremlin pendant un demi-siècle. Riga baigne dans un printemps europhile, portée par une puissante symbolique de l’appartenance au continent que l’Euro 2004 vient sublimer.

Alors? Alors il faudra les suivre avec enthousiasme, ces Lettons, car l’enthousiasme, c’est leur seul atout pour éviter l’élimination au premier tour, dans un groupe D peu amène, surnommé comme il se doit «le groupe de la mort». Celui-ci, outre nos bons amis de la Baltique, comprend en effet rien moins que l’Allemagne, peu agréable à voir jouer, mais toujours efficace; les Pays-Bas, excellents quand les disputes historiques entre Néerlandais de souche et joueurs originaires du Surinam ou d’Indonésie ne tournent pas à l’affrontement post-colonial; et la République Tchèque, qui aurait déjà gagné l’Euro 1996, sans un complexe d’infériorité face à l’Allemagne qui remonte au moins à la bataille de la Montagne-Blanche au tout début du 17è siècle.

Les Lettons, en fin de compte, ont une chance: leur histoire est tout aussi chargée.

L’autre grande découverte de l’Euro 2004 sera une sphère parfaite. Le ballon officiel de la compétition est, pour la toute première fois… parfaitement rond. L’objet, manufacturé par une grande marque de produits sportifs germanique, ne l’avait jusqu’ici jamais été.

Expliquons-nous: comme ils étaient cousus entre eux, les différents morceaux de cuir offraient quelques minuscules aspérités, rendant la chose (très) légèrement imparfaite. Oh, rien de grave. Personne ne s’en rendait compte, ni les joueurs ni les spectateurs, et le ballon restait toute de même nettement plus rond que les boules de chiffon utilisées par les gosses des bidonvilles de Kinshasa.

Mais cette année, la technologie a apporté au monde une révolution de la balle. Elle n’est plus cousue, mais soufflée, dans un unique morceau de cuir. Finies, les aspérités; évaporés, les emplois des milliers d’enfants-esclaves du nord du Pakistan, qui cousaient pour un dollar par jour plusieurs centaines d’unités chacun…

Les joueurs, jamais contents (mais ce sont des esclaves mieux stipendiés), prétendent que le ballon nouveau est trop rond, que ses trajectoires sont «flottantes», et que les longues passes transversales seront plus compliquées, même pour des génies comme David Beckham ou Zinedine Zidane. La perfection de la sphère menace la sphère de la perfection.

Pour passer à tout autre chose, nous avons envie de vous parler de Francesco Totti. Moins pour ses évolutions sur le terrain, qui sont œuvre d’orfèvre, que pour le caractère du personnage. L’homme, 27 ans, est le meneur de jeu de l’AS Roma, l’une des meilleures équipes transalpines. Il est aussi, tout naturellement, l’âme de la Squadra Azzura, qui pourrait bien finir un jour par remporter à nouveau une compétition majeure au lieu de se faire sortir aux penalties, ou crucifier par un «but en or» comme en finale de l’Euro2000 (France-Italie, 2-1).

Mais Francesco Totti est d’abord un formidable crétin romain, benêt au point de ne pas comprendre les questions des journalistes de Milan, car il ne maîtrise vraiment bien — et encore, c’est un grand mot — que le dialecte de la Ville Eternelle.

Depuis plusieurs années, toute l’Italie se délecte des gaffes et autres périphrases inouïes commises par l’impayable personnage. Peu rancunier, celui-ci a décidé de les offrir au panthéon de la littérature, en publiant des anthologies. La première s’est vendue à près de 800’000 exemplaires. La seconde est actuellement en sur les tables de toutes les librairies d’Italie.

Y figure quelques perles, comme celle-ci. C’est Francesco Totti, qui remplit un questionnaire administratif: «Nom: Totti; Prénom: Francesco; Né: Oui».

Mais Totti est d’abord un personnage attachant, qui reverse les droits de ses ouvrages aux enfants pauvres, visite des prisons («sans le football, j’aurais pu finir ici») et dit voter à gauche, dans un milieu réputé pour son amour des paradis fiscaux et des solutions politiques libérales.

Sur sa route du premier tour, groupe C, Francesco Totti, né («oui») en 1976, rencontrera deux tribus vikings (Suédois et Danois) et des Bulgares qui s’étaient signalés par une opiniâtreté toute balkanique en 1994, quand ils avaient éliminé l’Allemagne en quarts de finale de la Coupe du Monde aux Etats-Unis.

Pour le reste? Pour le reste, il faut regarder la télévision. Avec une pensée particulière pour l’équipe de Suisse, qui jouera dimanche contre les Croates un premier «match de la peur». S’ils la surmontent, les joueurs de la «Nati» pourraient même obtenir un résultat. Et entamer ainsi la partie suivante, contre l’Angleterre, avec ce formidable produit dopant: la peur au ventre.

——-
Le championnat d’Europe de football se tiendra au Portugal du samedi 12 juin au dimanche 4 juillet 2004.