Le président russe, dont le second mandat vient d’être inauguré par un attentat sanglant, n’a pas trop de souci à se faire: les Occidentaux continuent à fermer pudiquement les yeux.
Pauvre Poutine! Comment aurait-il pu imaginer que quelques malotrus poseurs de bombes allaient gâcher de manière aussi ostensible le sacre quasi impérial qu’il s’était offert pour inaugurer son second mandat à la tête de la Fédération de Russie?
Il se voyait tsar, il se retrouve père Ubu. Cela ne fait pas sérieux.
Pour quelqu’un qui aspire à jouer dans la cour des grands – et qui fait de visibles efforts pour que ces mêmes grands oublient de voir derrière sa démarche de baroudeur et son regard fixe le barbouze qu’il fut pour ne considérer que le démocrate qu’il voudrait être –, l’affront est de taille. D’une taille si colossale que les malotrus seront pourchassés et punis. A condition bien sûr qu’ils n’échappent pas à sa traque.
Comme ex-barbouze soviétique de haut nouveau, Poutine a certainement appris son histoire du terrorisme par cœur. Aujourd’hui, il ne doit pas se sentir très rassuré: des poseurs de bombe mus par des motivations suffisamment fortes pour les amener à faire sauter un président provincial et son état-major au milieu des fanfares de la fête nationale ne peuvent s’arrêter en si bon chemin. Ils doivent déjà, après avoir cuvé la vodka de la victoire, penser à un objectif plus élevé. Après le petit président, le président chef?
Trêve de plaisanterie, soyons sérieux. Observons. Analysons.
Justement, en matière d’analyse, avez-vous remarqué à quel point les russologues (anciens soviétologues reconvertis) et les kremlinologues de vieille cuvée sont silencieux? Autrefois, Brejnev levait un sourcil, Gorbatchov refusait de maquiller sa tache de vin frontale et la presse mondiale s’interrogeait aussitôt, publiait de savantes analyses, annonçait — c’était selon — la pluie ou le beau temps. Nucléaire, s’entend.
Même les cuites de Boris Eltsine — chose pourtant banale pour un alcoolo — mettaient l’univers en émoi.
Depuis quatre ans que Poutine est président, rien de tel. Il envahit un pays — un pays de métèques certes, mais un pays quand même –, personne ne bronche. Il le détruit. Sa soldatesque déplace des dizaines de milliers de personnes, viole les femmes, tue des enfants, hache menu les résistants au canon ou à la kalach. Rien.
Des immeubles de Moscou sautent en l’air et font des centaines de morts? Rien. Un théâtre tenu en otage avec ses spectateurs par un groupe de rebelles, dont des femmes, est pris d’assaut par les forces spéciales qui gazent tout le monde. Rien. De grands capitalistes liés au business globalisé sont jetés au trou comme des malfrats. Rien. Une élection présidentielle est organisée avec un seul candidat qui, évidemment, emporte la mise. Rien.
Monsieur Poutine fait sa gymnastique. Monsieur Poutine fait du shopping avec Madame Poutine. Le président Poutine préside. Il voyage même. On le voit un peu partout dans les raouts internationaux où il y a des mains à serrer. On le salue, il salue. On lui sourit, il sourit.
Monsieur Poutine est bien élevé: c’est un vrai démocrate. Le monde entier adoore les démocrates à la Poutine.
