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Le Brand Institute s’installe à Lausanne

Les professionnels du Brand Institute sont comme les jeunes couples en attente d’un heureux événement: ils cherchent des noms. Ils ne font même que ça. «Et si on l’appelait Metaglip, Omnitarg ou Raptiva? Et pourquoi pas Trevolon, Sensipar ou Ocuflox*?» Ces spécialistes de la nomenclature commerciale passent leur temps à inventer de nouvelles marques pour de nouveaux produits. L’essentiel de l’équipe, qui officie dans son QG de Miami et dans huit Etats américains, est renforcée depuis quelques jours par une toute nouvelle antenne européenne, basée à Lausanne.

«Nous avons ouvert ce bureau lausannois pour nous attaquer à l’Europe élargie, explique James Dettore, directeur et CEO du Brand Institute. Avec ses 25 pays, le marché européen présente désormais un plus grand potentiel que celui des Etats-Unis.» Et si James Dettore a choisi Lausanne comme tête de pont, c’est pour des raisons «purement logistiques: la ville est centrale, elle doit nous permettre d’accéder facilement à nos nouveaux clients».

Situés sous la gare, les bureaux lausannois du Brand Institute occupent pour l’instant une demi-douzaine de personnes qui, ensemble, maîtrisent un total de sept langues. Parmi elles, on trouve un spécialiste en management multiculturel formé à Saint-Gall, un professionnel du marketing pharmacologique et une docteur en pharmacie diplômée de Harvard et de l’Institut Pasteur. On l’aura deviné, l’industrie pharmaceutique constitue une part dominante — près de 90% — de la clientèle du Brand Institute. «Mais nous travaillons aussi avec des entreprises comme Mercedes-Benz, pour laquelle nous avons développé le label de certification StarMark», précise James Dettore.

Au rayon médicaments, ses équipes ont notamment travaillé sur la marque Levitra, le traitement contre l’insuffisance érectile lancé par Bayer/Glaxo SmithKline. Une vraie réussite lexicale; là où Pfizer avait misé sur une contraction des idées de vigueur et de Niagara pour son fameux Viagra, les chercheurs du Brand Institute ont opté pour une habile référence à la lévitation et à l’effet de levier.

Mais il ne faudrait pas en conclure que leur travail se limite à la recherche de noms astucieux. «Nous passons beaucoup de temps à filtrer nos propositions de noms pour arriver à un résultat qui remplit les nombreuses réglementations liées aux marchés pharmaceutiques», dit James Dettore.

Entre autres contraintes, un nom de médicament ne doit pas évoquer un bienfait ou un soulagement: cela pourrait induire le patient en erreur. Il doit en outre être facilement mémorisable et — compte tenu de la graphie souvent peu lisible des médecins –suffisamment original pour ne pas être confondu avec un autre traitement.

«Mais malgré ces mesures, il reste toujours des risques de confusion», témoigne Thérèse Evard, pharmacienne qui a travaillé en Suisse et aux Etats-Unis. «Je pense aux exemples de Ciproflox (ou Ciproxin, Ciproxine), Cipralex et Ciprodex, qui couvrent chacun des médicaments complètement différents. De plus, les labos ont tendance à fusionner et à uniformiser leurs emballages, ce qui n’aide pas à distinguer les produits. Surtout avec ces effets de mode comme les X ou les Z dans les noms.»

Le Brand Institute a été fondé au début des années 1990 par James Dettore, au moment où le branding devenait un élément de la vie courante aux Etats-Unis. Le bureau occupe aujourd’hui près de 150 personnes et revendique un portefeuille de plus de 700 clients (des géants de la pharma comme AstraZeneca, Aventis, Bayer, Johnson & Johnson, Novartis, Roche, mais aussi des entreprises comme Alcatel, Burger King, Compaq, Deutsche Telekom, IBM, Pepsi-Cola et Warner Bros).

Le marché pharmaceutique européen devrait lui offrir un fort potentiel de croissance: plus d’un million de marques de médicaments y sont déposées (contre seulement 60 000 aux Etats-Unis).

Cette profusion s’explique par le morcellement en Europe des cultures et des langues. D’un pays à l’autre, un même médicament peut être commercialisé à des prix très différents. Les laboratoires ont donc intérêt, pour éviter le marché gris, à varier les appellations, d’autant qu’un même nom évoquera des idées différentes dans chaque langue. On estime aujourd’hui, compte tenu des processus de régulation, que la recherche d’un nouveau nom peut coûter 250 000 dollars au client, auxquels il faut ajouter entre 500 000 et 750 000 dollars pour le dépôt de la marque sur tous les marchés. Cette somme, importante, ne représente toutefois qu’une fraction du milliard que peut coûter le développement et le marketing d’un médicament.

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*Les noms Omnitarg, Raptiva, Trevolon, Sensipar et Ocuflox ont été développés par différentes entreprises avec l’aide du Brand Institute.

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Une version de cet article a été publiée dans L’Hebdo du 22 avril 2004.