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L’échec politique de Bush (et son avantage face à Kerry)

S’il est vraiment décidé à maintenir le cap défini dans sa récente conférence de presse, le président américain devra doubler sa présence militaire en Irak. Mais il gardera un immense avantage face à son adversaire démocrate.

Le président Bush a enfin parlé. Comme on pouvait s’y attendre, il maintient le cap malgré les révélations embarrassantes faites par les principaux responsables de son administration devant la commission d’enquête parlementaire sur le 11 septembre et, surtout, par les avanies subies par les troupes américaines en Irak. Et la presse internationale s’interroge: les Etats-Unis vont-ils au-devant d’un nouveau Vietnam ?

Si l’on entend par là qu’ils courent devant un échec politique majeur, c’est certain. Mais la comparaison s’arrête là car on ne saurait appliquer à la situation actuelle les critères valables il y a près d’un demi-siècle.

Dans leur lutte, les Vietnamiens pouvaient s’appuyer sur la moitié communiste du monde qui ne manquait ni de moyens financiers, ni d’armements, ni d’enthousiasme révolutionnaire ou nationaliste chez les masses du monde entier.

La résistance vietnamienne (coiffée par le parti communiste de Hô Chi Minh) s’était formée au cours des années 1930 et 1940 et avait bouté l’armée française hors du pays avant de se mesurer à l’armée américaine. Cette résistance organisée en un parti unique exprimait la volonté d’un peuple nombreux et homogène, culturellement soudé, opposé depuis toujours à l’aventure coloniale occidentale.

Personne ne peut soutenir que ce soit le cas de l’Irak d’aujourd’hui. Cet Etat artificiellement découpé par l’impérialisme franco-britannique au lendemain de la Première guerre mondiale ne peut s’appuyer ni sur une tradition nationale ni une homogénéité culturelle. C’est un puzzle dont les parties sont centrifuges, chacun de ses éléments agissant au plus près de ses intérêts, comme on le voit ces jours-ci dans sa partie septentrionale où les Kurdes soutiennent avec détermination l’armée étasunienne contre leurs compatriotes arabes.

Par ailleurs, toutes les guerres conduites dans cette partie du monde depuis un siècle le prouvent, le niveau culturel du monde arabo-musulman ne lui permet pas d’opposer une résistance militaire efficace à la pénétration occidentale. Le drame palestinien en témoigne depuis plus de cinquante ans. Et ce, parce que le nationalisme arabe est, aujourd’hui, purement réactif et réactionnaire, refermé sur lui-même, sans perspective d’intégration dans le mouvement du monde. Dans ce sens, l’isolement de la Syrie est emblématique, comme d’ailleurs l’ouverture libyenne à la globalisation.

N’est-il pas frappant de constater qu’après 1993 et les accords d’Oslo, les Palestiniens n’ont pas été capables de produire des élites politiques en phase avec la modernité, aptes à gérer le présent et à préparer l’avenir, soucieuses de développer l’instruction et de lutter contre la corruption?

N’est-il pas frappant de voir le silence de l’Egypte et surtout de ses intellectuels sur le cours actuel du monde, alors qu’il y a quarante ans, ils participaient de plain pied au grand questionnement planétaire? N’est-il pas frappant de voir que l’une des éminentes figures arabo-musulmane, Tarik Ramadan, se contente pour faire passer son message prétendument novateur de se contorsionner en maître du double langage tel un prêtre ouvrier de Seine-Saint-Denis aux prises avec le PCF au sortir de la Deuxième Guerre mondiale?

Même si le postulat peut sembler paradoxal, la résistance militaire est affaire de culture. Les résistants irakiens en sont aujourd’hui complètement dépourvus. Nous le constaterons sous peu sur le terrain. La flambée de violence qui sévit depuis une semaine ne peut que faire long feu. Elle sera remplacée par l’insécurité quotidienne, le terrorisme aveugle, les prises d’otages qui imposeront aux Américains d’avoir un meilleur contrôle du terrain.

Si Bush est vraiment décidé à maintenir le cap défini dans sa conférence de presse du 13 avril, il devra déployer les troupes que l’état-major demandait avant le déclenchement de l’agression. Soit largement le double de celles actuellement sur place.

Cette réduction des violences à une résistance endémique a toutefois un prix politique que la médiatisation des guerres rend encore plus lourd. Comment un président américain peut-il à la fois chercher à séduire les électeurs et laisser les écrans de télévision exhiber sous le nez de ces mêmes électeurs des images sanglantes de soldats morts ou blessés, de quartiers en feu, de guerre de rue? C’est le défi auquel nous allons assister ces prochains mois.

La droite bushienne et néo-conservatrice a un immense avantage sur son adversaire: elle a un projet d’avenir (l’assujettissement et la modernisation du monde arabo-musulman), elle a une culture (la conviction que son modèle est le meilleur au monde), elle a des moyens (les pétrodollars arrachés par la force aux déserts arabes). Le pire qui puisse lui arriver, c’est de devoir se retirer sans gloire d’un bourbier qu’elle a elle-même créé et même de perdre le pouvoir pour quelques années.

Mais comme personne ne peut pour le moment lui contester la possession du pétrole, ce ne serait pas la première fois que l’on entendrait proclamer que, tout compte fait, l’argent n’a pas d’odeur.