«Sur les 500 demandes d’appartement reçues ces six derniers mois, une centaine sont des colocations!» Mario Cavaleri, le directeur de la Gérance immobilière de la Ville de Genève, n’avait jamais vu ça. «Ces demandes restaient marginales il y a un an, donc on peut parler d’un phénomène nouveau. C’est un effet évident de la pénurie de logements.»
Partager un appartement à deux ou à plusieurs n’est plus seulement un système D imaginé par les étudiants fauchés pour réduire le coût du loyer. Désormais, des célibataires actifs, plus âgés, font aussi ce choix.
«En mettant leurs ressources en commun, les colocataires ont accès à des objets plus luxueux et spacieux, constate Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre immobilière genevoise. Et les propriétaires ne sont pas réticents à cette formule.» Ce que confirme Philippe Buzzi, directeur de la SPG, la plus grande régie de Genève: «Nous favorisons les colocations car elles augmentent le nombre de débiteurs.»
«Vraie famille» Cathy, qui en est à sa quinzième colocation, a toujours partagé ses logements, des appartements de standing. Seule, elle n’aurait pas pu assumer le loyer de 3500 francs de son magnifique 110 m2 aux Eaux-Vives, tout près du lac. Cette Parisienne de 28 ans pousse le concept assez loin puisqu’elle a choisi de ne pas vivre sous le même toit que le père de son bébé de 7 mois. Elle partage son appartement avec un colocataire: «C’est plus facile de cohabiter avec un homme pour le partage des tâches et pour organiser la vie du ménage. Lui descend les poubelles et moi je m’occupe de la vaisselle.»
A Cologny, juste à côté du golf, se trouve la jolie maison de Paul, Sébastien, Irina et Jo. Les locataires, tous trentenaires actifs, profitent des premiers beaux jours dans le jardin. Ils se partagent les chambres, ainsi qu’un grand salon avec une cuisine américaine.
«Louer seul une maison pareille aurait été impossible avec mon revenu de pâtissier», rigole Sébastien, une bière à la main dans son transat. C’est Paul qui gère les affaires et a pris le bail à son nom. Longs cheveux et moto, il n’a pas exactement le profil des habitants du quartier. «On forme une vraie famille dont on choisit les membres. Lors des castings de nouveaux venus, on se met ensemble pour évaluer les candidats. Nous avons créé un esprit de communauté qui va au-delà du partage des charges.»
Comme les Anglo-Saxons, les Alémaniques connaissent depuis longtemps ce qu’ils appellent les «Wohngemeinschaft». Les Genevois commencent seulement à s’y mettre: les annonces fleurissent dans les journaux et les sites internet comme www.colocation.ch. C’est là que Marc, à la recherche d’un nouveau «cohabitant», a posté une annonce. Cet employé d’une organisation humanitaire partage avec deux jeunes gens un duplex lumineux dans un quartier résidentiel de Vésenaz. «A Paris, ou à Bruxelles, on trouve un colocataire en trois jours. Mais à Genève, il faut s’y prendre plusieurs semaines à l’avance. Le système fonctionne encore en circuit fermé, par réseau d’amis.»
Colocataire trouve conjoint? C’est que la colocation moderne s’inspire de Friends ou du film L’Auberge espagnole, qui privilégient l’amitié et la fête. «J’ai rencontré une soeur!», s’enthousiasme Rebecca, 33 ans avec son petit accent à la Birkin. Cette chef de projet dans la construction a rencontré Tatiana par l’intermédiaire d’un ami. Ordonnées mais fêtardes, la blonde et la brune se reconnaissent le même style de vie et le goût pour la décoration indienne aux tons chaleureux. Moitié-moitié pour le loyer et les charges, mais pour le reste, «pas de partage des tâches ni de comptes d’épiciers».
Deux femmes coquettes qui partagent la même salle de bains. Collision? «Au contraire, durant les séances de maquillage, on se fait nos confidences.» Et, si l’une d’elles ramène un homme à la maison, elle prend soin de placer un vêtement masculin en évidence à l’entrée. «On évite ainsi de se trouver nez à nez avec un homme sous la douche…»
Dans les colocations mixtes, des règles strictes s’appliquent. «Je préfère vivre avec une fille, raconte Jean-Daniel, un informaticien de 33 ans qui cohabite avec une étudiante de 23 ans. J’ai dû rassurer ma copine par rapport à cette situation…»
Règle d’or de toutes ces communautés de célibataires: «On ne batifole pas avec ses colocataires.» Même si Marc avoue: «Cette maison va se transformer en agence matrimoniale: un couple de cohabitants s’est formé ici et on ne compte plus les scores entre des amis de colocataires lors des soirées chez nous.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 1 avril 2004.