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La «Nouvelle Europe» a bien vite vieilli

La «Nouvelle Europe» dont la naissance l’an dernier dans le giron de l’alliance américaine avait été saluée non seulement par les néo-conservateurs américains mais aussi par quelques capitales de la «vieille» Europe (Madrid et Rome notamment) a fait long feu. C’est dire combien en politique on peut vieillir vite.

Souvenez-vous, cela se passait il y a un an. Washington ne cessait de brandir la prétendue possession par l’Irak d’armes de destruction massive pour réunir sur son projet d’invasion du pays une coalition suffisamment large pour faire oublier l’opposition des Nations unies (donc du droit international) à son projet.

Emmenés par Tony Blair, quelques chefs d’Etat, Aznar et Berlusconi, mais aussi le Polonais Aleksander Kwasniewski, se rangèrent aux côtés de Bush malgré l’opposition massive de leurs populations à la guerre.

J’étais en mai dernier à Varsovie et je me souviens avec quelle commisération les milieux politico-journalistiques parlaient de cette vieille Europe que Schröder et Chirac emmenaient sur la voie du déclin si ce n’est de la déchéance. Pour eux, il ne faisait aucun doute que l’élargissement à venir (on y sera dans cinq semaines!) consacrerait l’avènement d’une grande Europe libérale, proaméricaine, de droite, capable d’épauler fermement Washington dans sa croisade contre les musulmans et sa conquête des puits de pétrole. Moins pour sauver le christianisme que se partager le pactole.

Les Polonais se réjouissaient en particulier d’envoyer un corps expéditionnaire en Irak et, surtout, d’assumer le commandement d’une zone d’occupation. C’était pour eux le signe tangible d’une grandeur retrouvée et de leur émergence sur la scène internationale comme leader de la Nouvelle Europe dans sa partie orientale.

Puis l’invasion de l’Irak a tourné en eau de boudin. Personne n’a trouvé ces fameuses armes de destruction massive. Par contre, la «coalition» prétendument victorieuse ramasse ses propres cadavres à la pelle.

En décembre dernier, Azanr et Kwasniewski – la tête enflée par leur autosatisfaction – se payaient encore le luxe de couler le projet de constitution européenne sous le prétexte qu’elle ne reconnaissait pas suffisamment leur grandeur naissante, alors que la commission Giscard avait réalisé des prodiges de médiation pour satisfaire les uns et les autres.

La déconfiture électorale sans appel infligée à Aznar par les Espagnols a contraint les nouveaux Européens à sortir du bois et, surtout, à changer leur fusil d’épaule. Kwasniewski et Miller, président et Premier ministre polonais, n’ont pas mis longtemps pour comprendre que le vent avait tourné. Ces deux hommes, qui furent communistes quand la soupe était communiste et devinrent libéraux quand la soupe devint libérale, ne sont pas de ceux qu’une accusation d’opportunisme fait blêmir sous l’outrage.

La semaine dernière Kwasniewski montait courageusement au créneau en déclarant que les Etats-Unis l’avaient «mené en bateau» dans l’affaire des ADM. Dans le genre «si j’aurais su j’aurais pas venu». Puis, tout aussi courageusement, il fit invoquer une erreur de traduction par son entourage. Ce qu’on appelle un démenti diplomatique, comme les maladies du même nom.

Mardi dernier, lors d’une visite à Berlin, c’est le Premier ministre Miller qui s’est jeté à l’eau, mais à propos de la constitution européenne: «Les attentats de Madrid étaient dirigés contre les valeurs qui constituent les fondements de l’Union européenne. Face à la menace commune, l’Europe a besoin d’une plus grande intégration et d’une coopération renforcée. L’UE a besoin d’un traité assurant son fonctionnement.» En clair: nous sommes prêts à négocier sur la constitution européenne.

Or, notez-le bien, ces virages à 180° sont pris alors qu’Aznar est toujours en charge de sa présidence espagnole! Le malheureux représentait encore Madrid jeudi soir 25 mars à Bruxelles au sommet européen où la présidence de tour irlandaise devait annoncer que le projet Giscard de constitution européenne serait probablement accepté – avec quelques légères modifications – avant la fin juin. De quoi faire réfléchir le matador madrilène sur la versatilité des amitiés politiques et la triste fin de la Nouvelle Europe chère à son cœur.