L’incendie couve toujours dans les Balkans. Les violences antiserbes de la semaine dernière au Kosovo ( 28 morts, 600 blessés et 3.600 sans-abri, 286 maisons et 30 églises ou monastères orthodoxes incendiés ou détruits) n’ont été qu’une flambée relativement vite maîtrisée mais pas éteinte. De Belgrade à Pristina, de Skopje à Sararajevo, l’embrasement peut être général du jour au lendemain, tant les passions sont vives, les rancunes tenaces, la haine omniprésente.
On a trop tendance à oublier que la situation actuelle est politiquement insatisfaisante. On a trop tendance aussi à ne pas prendre en compte le retour en première ligne des nationalistes que cela soit en Bosnie-Herzégovine, en Serbie ou en Macédoine. En 1999, la fin de la guerre suite aux bombardements de l’OTAN avait provoqué une accalmie. Sonnés par les bombes, les nationalistes avaient baissé la tête.
Ils la relèvent aujourd’hui. La preuve? Les violences au Kosovo bien sûr. Mais aussi la manifestation organisée à Belgrade (où l’on a brûlé une mosquée) au lendemain de ces violences. Voici ce qu’en dit en journal local dans un article reprit par le Courrier des Balkans:
- La procession qui est partie du bâtiment gouvernemental pour s’arrêter devant l’église Sveti Sava à Vracar, menée par les archevêques de l’Eglise serbe, le Premier ministre Vojislav Kostunica, les ministres serbes, les membres du Conseil des ministres de Serbie-Monténégro, du Centre de coordination serbe pour le Kosovo et du Conseil de la couronne a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes. (…)
Les participants de la marche officiellement organisée par le gouvernement serbe arboraient des affiches portant les inscriptions: «Serbie, lève-toi», «On ne donnera pas les sanctuaires serbes», «Arrêtez le génocide», «La guerre à l’Albanie».
Ils portaient des photographies des Serbes disparus au Kosovo, des icônes de la Vierge Marie et de Sveti Sava et chantaient des chansons nationalistes et tchetnik. Les paroles les plus prononcées étaient: «Le Kosovo est le cœur de la Serbie», «Tuons les Shiptars», «Tue, égorge, que les Shiptars disparaissent» (sic) en dépit de tous les appels à la dignité. Les lycéens belgradois qui ont rejoint la manifestation ont été les plus engagés.
Les Shiptars, vous l’aurez compris, sont les Albanais. Il s’agissait d’une manifestation réunissant tout le gratin politique et religieux de Belgrade. Elle s’est déroulée dans un pays européen – en principe civilisé – le vendredi 19 mars dernier. Et cela en réponse à une agression odieuse ayant semé la mort et la peur commise par des Kosovars albanophones, donc européens, et en principe eux aussi civilisés.
Quelle leçon tirer de tels comportements sinon que la solution mise en place en 1999 n’en est pas une?
Cinq ans ont passé depuis la fin du cycle infernal des guerres balkaniques engendrées par l’implosion de la Yougoslavie. Ne serait-il pas temps que des diplomates suisses, norvégiens, européens, onusiens ou papous prennent le dossier en main, l’étudient attentivement à tête reposée et proposent des projets de coexistence pacifique à des têtes brûlées qui ne sont pas pacifiques et ne veulent pas coexister?
Aujourd’hui le monde entier se fiche de ce qui se passe dans les Balkans. En début de semaine nous avons eu droit aux couplets d’usage, compassionnels et compassés, des ministres UE des Affaires étrangères. Nous avons eu droit au bla-bla du nouveau secrétaire général de l’OTAN qui morigène les Kosovars albanais en leur demandant d’être polis et courtois. Ce mercredi 24 mars, Javier Solana, le ministre des Affaires étrangères de l’UE se rend sur place pour répéter les mêmes banalités.
Or, on le constate, il est absurde de vouloir maintenir le Kosovo dans l’Etat serbo-monténégrin. Comme il est absurde de maintenir la fiction d’une Bosnie-Herzégovine divisée officiellement en deux entités alors que dans les faits il y en a trois. Comme il est absurde de penser que tant que le sort du Kosovo sera incertain, la Macédoine connaîtra la paix civile alors qu’elle est, elle aussi, divisée entre Slaves et Albanais.
Maintenir une coexistence par une présence armée de l’OTAN et des forces de police européenne ne fait que geler un conflit qui, de cette manière, ne se résoudra ni avec cette génération, ni avec les suivantes. L’ONU en fait l’amère expérience à Chypre où, trente ans après son intervention armée rien n’est réglé et où les populations concernées rejettent toujours tout règlement.
Il y a donc erreur sur la méthode. Diplomates, au travail! Ou alors rendez votre tablier.