TECHNOPHILE

La nouvelle vie de Philippe Mottaz

Nommé à la tête des programmes de Léman Bleu, l’ex-rédacteur en chef de la TSR veut expérimenter toutes sortes de nouvelles technologies. Il raconte ses projets.

«Evangélisateur». Voilà ce que Philippe Mottaz s’amuse à répondre quand on lui demande quelle est sa nouvelle activité. Il sourit, mais ne plaisante qu’à moitié: depuis presque deux ans, l’ex-directeur de l’info de la TSR passe l’essentiel de son temps à porter la bonne parole numérique. Ses brebis sont généralement des professionnels des affaires ou des médias.

«Je n’aime pas le terme consultant, mais c’est à peu près ce que je fais aujourd’hui.» L’un de ses principaux clients sera la chaîne locale genevoise Léman Bleu, dont il vient d’accepter de diriger les programmes.

Que Philippe Mottaz se considère comme un prêcheur n’a rien d’étonnant. Ses dernières années à la TSR, il les a passées à convertir — en digital — les processus de fabrication du Téléjournal et surtout à faire évoluer les mentalités réputées passablement conservatrices de la grande Tour. Un chantier qualifié de pharaonique, Actu 2000, qui a modifié en profondeur la façon dont la TSR traite l’information quotidienne.

Pour Mottaz, cette mission accomplie avec succès a été ponctuée par une déception, celle de ne pas être nommé à la direction de la chaîne romande. Mais à le voir aujourd’hui dans ses propres bureaux lausannois, on se dit que malgré les heures difficiles, l’homme n’a rien perdu dans l’affaire: ce statut de consultant, à la tête d’une équipe souple de trois personnes, semble bien mieux convenir à sa créativité qu’un costume de patron de chaîne publique.

«Notre équipe fonctionne comme une société virtuelle», dit ce journaliste qui reste fasciné par la convergence des médias. Sa petite unité mobile, il l’a baptisée Anyscreen.ch pour bien signifier qu’elle développe des produits qui peuvent être exploités sur n’importe quel écran. Le téléviseur et l’ordinateur, évidemment, mais aussi le téléphone et tout autre appareil portatif.

«Chaque terminal a sa propre logique, c’est cela qui me passionne dans l’évolution du métier, dit-il. Aujourd’hui, tout le monde devient producteur d’informations. Les médias traditionnels ne peuvent plus ignorer cet état de fait. Quand je vois qu’il y a 1’200 collaborateurs à la TSR, et seulement 60 caméras, je me dis que ça devrait être l’inverse!»

«Avec Léman Bleu, poursuit-il, j’ai envie d’exploiter tous ces nouveaux moyens techniques, que ce soit pour l’acquisition d’images, la distribution des contenus et l’interaction avec les téléspectateurs. Mais les moyens financiers sont limités, c’est pourquoi nous n’allons pas créer de nouvelles émissions avant de les commercialiser. Les sources de revenus? Le sponsoring, bien sûr, mais je réfléchis aussi à la téléphonie surtaxée et à l’abonnement pour certains contenus.»

La nouvelle aventure de Philippe Mottaz commence à la fin de 2001, quand il reçoit un appel du géant industriel SchlumbergerSema, partenanaire technique du CIO. «Ils me demandent si la TSR serait intéressée à participer à un projet pilote: une diffusion sur un réseau à haut-débit des JO de Salt Lake City. Ils ont entendu dire que je m’intéresse à ces questions. Je réponds immédiatement oui, sans vraiment imaginer ce que cela représente.»

Pour le CIO, les enjeux sont immenses: les milliards de dollars associés aux retransmissions olympiques risquent d’être remis en cause par l’internet à haut débit. «Théoriquement, il n’y a plus de limite, explique Philippe Mottaz. Le Net permet de diffuser les images et les sons à la demande, mais aussi l’ensemble des données chronométriques en temps réel et toute autre information (biographies d’athlètes, etc.). Pour étudier les réactions des internautes face à une telle offre, nous avons constitué un consortium avec SchlumbergerSema, la SSR, Swisscom et la société fribourgeoise Dartfish.»

Difficile d’imaginer un contenu plus attrayant que les JO pour expérimenter le futur de la télévision. «Le CIO a accepté le projet à deux conditions: que les images ne puissent être vues qu’en Suisse et que le détenteur des droits, la SSR, soit d’accord. «L’expérience a constitué une première mondiale. «L’ambiance était incroyable, les journées se terminaient à 1 heure du matin. Nous n’avions qu’un petit millier d’utilisateurs en ligne, mais ils l’utilisaient à fond. Le système nous permettait de récolter des informations passionnantes sur les nouveaux comportements des consommateurs.»

Les enjeux dépassent de loin l’avenir de la petite TSR. En janvier 2002, après presque trente ans passés dans le service public, Mottaz décide de devenir «évangélisateur» pour le compte, entre autres, du groupe SchlumbergerSema. «Mon travail a été de leur traduire le monde de la télévision: imaginer ce qu’il faut offrir comme produit multimédia pour satisfaire l’attente des nouveaux téléspectateurs.»

Ce mandat de Philippe Mottaz est maintenant terminé. Mais les discussions sur le nouvel ordre mondial des droits sportifs, lui, se poursuit. «En Europe, le dossier des droits numériques des JO est devenu une patate chaude depuis que Mario Monti, le commissaire européen à la Concurrence, a décidé de s’y intéresser.»

Ces derniers mois, le journaliste a travaillé sur plusieurs mandats, notamment pour la TSR et le le Forum mondial des médias électroniques. Et puis, brusquement, cette activité intense a été interrompue par un infarctus. Toujours fasciné par les écrans, le journaliste explique comment il a pu assister en direct à sa propre opération. «J’ai eu une crise cardiaque, raconte-t-il sobrement. «Il y avait un système qui diffusait le travail des chirurgiens sur un écran au-dessus de moi. J’ai regardé pendant un moment, et ensuite j’ai dû détourner les yeux. Mais comme ils ont tout enregistré sur DVD, j’ai pu voir le reste de l’opération plus tard, en différé.»

Visiblement secoué par cette expérience, Philippe Mottaz semble avoir changé de mode de vie depuis le début de l’année. «Je vois les choses différemment. Je redécouvre la vie sous un autre angle et ça me fait du bien.»

L’équipe d’Anyscreen travaille actuellement sur des concepts pour Léman Bleu. «Je me pose les questions de base: comment est-ce que je vais raconter ma région aux gens? Avec internet? Avec de la vidéo? Avec des technologies mobiles? Est-ce que je vais distribuer 600 téléphones avec caméras pour obtenir des images? Voilà le genre de questions qui me motive en ce moment. Il y a un exotisme dans la mobilité, une poésie qui me plaît beaucoup. Et surtout un besoin. C’est là que j’ai envie de travailler.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 11 mars 2004.