Eliane Ballif, célèbre présentatrice de la TSR, a été choisie pour diriger le Centre romand de formation des journalistes. Elle évoque ici sa vision du métier et analyse les nouveaux défis de la profession.
En Suisse, tout le monde peut arborer le titre de «journaliste» sur sa carte de visite. Comme les psychologues ou les naturopathes, les journalistes ne bénéficient pas d’une reconnaissance fédérale par l’Ofiamt (Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers et du travail). Dès lors, comment organiser la formation de ce métier qui n’en est pas un?
Ce sera la tâche d’Eliane Ballif, récemment nommée à la tête du Centre romand de formation des journalistes (CRFJ), à Lausanne. Cette vénérable institution représente le passage obligé de tout journaliste stagiaire engagé dans une rédaction. Car s’il existe une filière universitaire, proposée à Fribourg et à Neuchâtel, elle n’est pas particulièrement prisée par les employeurs: les rédacteurs en chef privilégient généralement une expérience professionnelle préalable originale plutôt qu’un parcours académique dans les règles.
Du coup, les journalistes proviennent d’horizon très divers, qui n’ont souvent rien à voir avec la presse, et le CRFJ leur apporte les notions essentielles à la bonne pratique du métier. Une formation qui reste relativement sommaire, puisque seulement 9 semaines de cours étalées sur 2 ans, et un examen – que personne ne rate – donne accès au titre de journaliste RP (pour «inscrit au Registre professionnel»), reconnu par la profession.
Signe des temps, c’est une journaliste d’audiovisuel qui succède à la direction très «presse écrite» du CRFJ assurée jusque ici par Daniel Cornu, qui fut notamment rédacteur en chef de la Tribune de Genève. Agée de 54 ans, Eliane Ballif a en effet passé une vingtaine d’années à la Télévision suisse romande, où elle a notamment produit et animé l’émission de débat «Droit de Cité».
Intervieweuse sans concession, elle se trouve en cette après-midi hivernale dans la position inhabituelle de l’interviewée, devant un Fernet Branca qu’elle commande à peine débarrassée de son écharpe. Très inquiète d’être mal retranscrite, elle ponctue son discours de «ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit» et de «vous me ferez relire mes réponses avant publication». Entre deux elle confie:
«Je ne suis pas complètement étrangère au domaine de la formation. J’enseigne déjà au CRFJ depuis une dizaine d’années, de même qu’à l’intérieur de la TSR, où je participe à l’organisation de la formation interne. A la télé, j’avais l’impression d’avoir fait le tour des métiers possibles et je me réjouis de relever un nouveau défi au CRFJ. Je constate, signe des temps, que je suis la première femme à avoir été choisie pour ce poste, et aussi la première à venir du secteur audio-visuel. Je pense que tous les journalistes doivent devenir «multimédia» et maîtriser désormais aussi bien l’écrit que les domaines audio-visuels. On ne peut pas échapper à cette convergence. J’ai l’intention d’organiser des ateliers d’écriture comparée, où un même sujet sera traité sur les différents supports.
Que voulez-vous changer dans la formation des journalistes?
Je ne vais pas entreprendre de réforme coup de poing, mais analyser d’abord ce que propose le CRFJ et ce qui se fait ailleurs. Il existe des filières universitaires avec lesquelles il me semblerait logique de collaborer pour éviter de doublonner. J’ai envie d’intégrer le Centre dans un réseau, par exemple en partageant des cours avec les Universités de Fribourg et Neuchâtel. Cela m’intéresse aussi d’étudier des synergies possibles avec le centre de formation de la télévision. Je souhaiterais aussi que le CRJF devienne un observatoire de ce qui se fait ailleurs: en France et au Québec, mais aussi aux Etats-Unis.
Comment jugez-vous l’évolution de la profession?
De plus en plus, on répète, on copie sans s’interroger. Il y a une réflexion à mener sur la course à l’info qui empêche tout recul. Je défends ce que j’appelle le «doute méthodique» qui consiste à approfondir, se demander ce que signifie vraiment une information, éviter le conformisme. Par ailleurs, je constate que le journalisme de communication remplace celui d’investigation, y compris en politique. Il est dopé par ces conseillers en communication et autres services de presse, qui pullulent dans les entreprises comme les institutions. On voit aussi comment la communication peut être organisée dans les conflits, avec les «journalistes embarqués» en Irak par exemple. Pour parler de ces problèmes, j’envisage aussi d’organiser des séminaires de réflexion, ouvert à tous les journalistes, sur des grands thèmes d’actualité.
Et la presse romande?
Jusque ici, les médias étaient un outil de travail pour moi. Je commence à les regarder autrement, avec un œil plus critique. C’est aussi ce que j’apprécie dans cette fonction.
——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 26 février 2004.
