Le président de la Commission européenne ne faisait plus mystère de sa volonté de rentrer en Italie. L’heure a sonné. Il sait qu’il est le seul homme capable de battre Berlusconi aux prochaines élections générales.
La politique est un long fleuve divaguant entre rocs, saillies et autres monticules imprévisibles. La preuve? Regardez ce qui arrive à Romano Prodi, président en exercice de la Commission européenne. Alors que Blair, Chirac et Schröder sombrent avec armes et partisans dans les flots tumultueux du désamour, lui, tel un phénix, resurgit du néant. L’histoire vaut d’être contée.
Bolonais jusqu’au bout des ongles, Prodi, démocrate-chrétien depuis toujours, catholique pratiquant et cycliste impénitent, a suivi la carrière classique d’un universitaire appelé par son parti — après avoir fait ses preuves du haut de sa chaire — à entrer en politique.
Dans les années 1980, il se retrouve à la tête d’un vaste conglomérat de sociétés publiques administrant l’essentiel de l’industrie étatisée italienne. Au début des années 1990, après le double tremblement de terre provoqué par l’effondrement du communisme (donc du parti communiste italien, alter ego en politique de la démocratie-chrétienne) et par l’effondrement de la démocratie-chrétienne elle-même déconstruite par l’offensive judiciaire «mains propres» contre la corruption, il décide de quitter son statut de haut fonctionnaire. Pour se lancer dans la vraie politique. Donc à l’assaut du pouvoir.
En 1994, alors que Silvio Berlusconi réussissait sa première OPA sur la présidence du Conseil, Romano Prodi enfourchait sa bicyclette pour, une branche d’olivier à la main, parcourir la péninsule et conquérir les masses italiennes à une vision centriste de la politique au nom d’une coalition de circonstance dite de l’«Ulivo» (l’olivier). Ses soutiens? Le gros des anciens communistes, et des centristes de tout poil, laïcs et cathos confondus.
Cela marche si bien qu’en 1996, il gagne les élections et devient président du Conseil. Mais ce cycliste déraille très vite: les anciens leaders du PCI lui mettent, c’est le cas de le dire, les bâtons dans les roues à tel point que deux ans plus tard, il doit démissionner pour laisser son fauteuil au fringant (et glouton) Maurizio D’Alema, un ancien communiste ayant revêtu sans trop y penser les oripeaux du libéralisme.
Ecœuré, Prodi se replie sur Bruxelles qui cherche désespérément une personnalité qualifiée pour redorer le blason d’une Commission terni par la présidence Santer. Mais il surveille de près les affaires italiennes et rigole doucement en voyant, à Rome, son vainqueur se planter misérablement et ouvrir un boulevard à un Berlusconi qui, en 2001, bat à plate couture un «Ulivo» sans âme.
Dès lors, il ne fait plus mystère de sa volonté de rentrer au pays une fois son mandat européen achevé. Cette heure à sonné dimanche dernier lors d’une grande convention de l’opposition à Berlusconi réunie dans la capitale italienne.
Au cours d’un show digne d’une classe politique berlusconisée, Romano Prodi a fait un come back hollywoodien pour annoncer que, désormais, le chef de l’opposition, c’était lui et personne d’autre. Que s’il ne se présentait pas aux élections européennes de juin en raison de ses hautes fonctions bruxelloises, il comptait néanmoins marquer de sa patte la campagne à venir. Et que le 1er novembre, à la fin de son mandat, il s’installerait à Rome pour prendre en main la préparation des prochaines élections générales prévues pour 2006.
Personne ne s’est risqué au moindre signe de dénégation: Prodi est aujourd’hui le seul homme politique italien capable de battre Berlusconi. Et pour bien montrer qui commandait, il s’est payé le luxe de faire applaudir par la fleur de la défunte gauche italienne ses pères tutélaires en politique: Alcide De Gasperi, Robert Schumann et Konrad Adenauer, tous illustres démocrates-chrétiens des années 1950!
Je vous le disais: la politique est un long fleuve divaguant. Voire extravaguant, au sens fort du terme. L’Italie est en train de nous dessiner les méandres de son cours sinueux: ils tirent irrésistiblement à droite. Au point de finir, à cinquante ans de distance, de former un beau cercle en retrouvant leur point de départ. Quel progrès!
