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Une Europe en quête de leader

Depuis Delors, l’Union n’a plus trouvé de dirigeant à la mesure de son projet. Et les candidats à la succession de Romano Prodi n’ont pas vraiment l’envergure de meneurs de foules.

Où sont passés les hommes politiques d’antan? Je ne me pose pas la question pour la Suisse qui, soudain, regorge d’hommes forts, mais pour l’Europe. Car, que cela plaise ou non, c’est bien en Europe que se font notre présent et notre avenir.

On a beau se mettre les plus belles œillères de mulet qui soient et applaudir aux facéties de Jean Fattebert, une réalité compte: depuis le rejet de l’EEE en décembre 1992, un rejet vécu comme un non à l’Europe, la Suisse est bardée de certitudes idéologiques. Mais elle est aussi en crise économique permanente, avec baisse du niveau de vie, augmentation du chômage et, bien sûr, augmentation de la compétitivité au profit de quelques-uns. Comme de Blocher et sa pseudo ex-Ems Chemie. Mais passons…


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L’Union européenne donc. Dans quelques mois, elle comptera 25 Etats qui vont chacun élire leurs députés au parlement européen. En juin, ce parlement devra élire un successeur à Romano Prodi, lequel n’a qu’une idée en tête: vite quitter l’exil belge et rentrer à Bologne pour enfin reprendre son lancer de peaux de bananes sous les pieds de Silvio Berlusconi.

Depuis Delors, l’Union n’a plus trouvé de dirigeant à la mesure de son projet. Avant un Prodi resté attaché à sa botte, le Luxembourgeois Santer n’avait pas fait le poids et s’était même pris les pieds dans des magouilles pas très catholiques. Aujourd’hui, les politiciens qui se pressent au portillon n’ont pas vraiment l’envergure de meneurs de foules.

On parle à gauche du gentil Costas Simitis ou à droite du juvénile Guy Verhofstadt. On parle aussi, à gauche ou à droite, de politiciens portugais, danois, voire finlandais fort peu connus sous nos latitudes.

L’obscurité qui entoure ces candidats à la direction de quelques centaines de millions d’Européens (et, par ricochet, de sept millions de Suisses) en dit long sur la permanence du réflexe national dans le chantier européen. Pour aspirer à gouverner à Bruxelles, il suffit en effet d’obtenir une bonne cote de popularité dans son pays. Et le respect de ses homologues dans les autres gouvernements.

On devient en somme commissaire européen comme l’on devient conseiller fédéral. Est-ce une bonne chose? Je ne le pense pas. Le mode d’élection de nos conseillers fédéraux est de plus en plus décalé par rapport à la réalité politique du pays. Cela a eu fonctionné, mais ce n’est plus le cas. Comment un système insatisfaisant au niveau d’un Etat lilliputien comme le nôtre pourrait-il s’avérer bénéfique pour une vaste fédération européenne?

Pour avancer, l’UE doit pouvoir compter sur des gens capables – comme les Mitterrand, Delors, Kohl ou Gorbatchev (oui, Gorby, sans qui l’Allemagne serait encore divisée!) – de voir plus loin que leurs frontières nationales, de penser plus loin que leur baguette de pain ou leur choucroute, d’unir sur quelques idées simples des peuples aussi divers que les Grecs ou les Lithuaniens.

Et cela s’apprend non seulement en faisant une belle carrière nationale, mais aussi en parcourant le monde, en se frottant aux différences, en apprenant la diversité. Que Mitterrand et Kohl, dirigeants de grands Etats, se soient révélés sur le tard montre que le défi est difficile.

Aujourd’hui, un homme politique, Daniel Cohn-Bendit, est capable de penser en Européen. Il fait de la politique active en Allemagne et en France, il ramène son grain de sel dans les affaires des autres Etats et il anime la seule émission littéraire de la télévision suisse! Mais pour un Cohn-Bendit rigolard et détendu, vivant d’une rente de situation acquise il y a fort longtemps, combien de politiciens angoissés et pète-sec dont l’œil reste braqué sur le sondage du patelin qui l’a vu naître?

Ce manque de culture politique européenne tient en grande partie à trois facteurs.

  • Pour commencer, elle a été freinée par le fait que pendant des décennies, les peuples n’ont pas été consultés sur le projet européen. Et que les élections du parlement de Strasbourg n’étaient pas harmonisées. Il faudra encore du temps pour combler ce retard.
  • Le morcellement culturel et médiatique empêche les hommes politiques de s’adresser directement à l’ensemble du continent. La chaîne Euronews (et dans une moindre mesure Arte) joue un rôle de pionnier en ce domaine. Maintenant qu’elle est bien rodée, je me réjouis de voir comment elle va couvrir les prochaines élections européennes. J’espère qu’elle va nous offrir une variété de débats donnant la parole à toutes sortes de candidats de toutes sortes de pays.
  • Les gouvernements actuels (et singulièrement leurs leaders, les Chirac, Blair, Schröder, Aznar, Berlusconi…) ne font rien pour européaniser leur discours. Il est consternant de constater que dans cet aréopage d’hommes d’Etats de petite envergure, le plus européen d’entre eux reste Berlusconi. Parce qu’en bon businessman, l’œil toujours aux aguets, il guette l’affaire à ne pas rater pour arrondir son portefeuille.