CULTURE

Jane Campion, un thriller sexuel avec chichi

Masturbation féminine, meurtres en série, sexe en érection… Dans «In the cut», la réalisatrice conjugue tension érotique et criminelle. Mais avec tant de maniérisme que son film, pas mauvais au demeurant, étouffe sous les ornements.

Qu’est-il arrivé à Jane Campion?

Comment celle qui fut la première — et à ce jour l’unique — femme à recevoir une Palme d’or au festival de Cannes («La leçon de piano» en 1993); comment cette surdouée qui secoua la critique avec «Sweetie», portrait acide d’une ogresse sans tabou; comment la chroniqueuse raffinée des folies féminines, la peintre de la vie tragique de la romancière néo-zélandaise Janet Frame («Un ange à ma table»); comment celle qui fut reconnue par les cinéphiles comme l’un des auteurs les plus prometteurs de sa génération, bref, comment Jane Campion est-elle devenue si poseuse?

Son dernier film «In the cut», sans être mauvais, est étouffé par ses citations artistiques: musique d’Hilmar Orn Hilmarsson destinée à être classée dans le hit parade des B.O. tout comme Michael Nyman pour «La Leçon de piano»; plans construits comme des compositions florales; approche des corps à la fois floue et crue, forcément artistique; acharnement à filmer New York comme un décor glauque; usage gratuit de certains ralentis et emploi abusif de l’allégorie sexuelle, dont la naïveté, parfois charmante, fait penser à «La Maison du Docteur Edwards» de Hitchcock. Trop, c’est trop!

Comme Dali a fini par s’identifier à sa moustache, Jane Campion n’est plus désormais qu’un plan tarasbicoté avec musique lyrique par dessus.

Pourtant, à y regarder de plus près, ce qui lui est reproché aujourd’hui, son maniérisme exacerbé, était déjà en œuvre dans ses premiers films. «Sweetie» abusait des plans obliques; «Un ange à ma table» des couleurs saturées; «La leçon de piano» souffrait d’un esthétisme outrancier; «Portrait of A lady», d’après Henry James, d’une forme d’académisme antiquaire et «Holly Smoke» de son baroquisme proche du kitsch.

Jane Campion, anthropologue de formation, fascinée par la peinture, a toujours eu du septième art une vision «arty», comme si l’appellation d’artiste était plus valorisante que celle de simple cinéaste. Dommage!

Si son style à tendance rococo fut rapidement identifiable, c’est son regard porté sur les femmes qui l’a imposée au monde. Regard sans concession ni complaisance, mais terriblement empathique. Chacun de ses films se décline comme le portrait d’une héroïne courageuse, féministe mais prisonnière de son époque. La plupart de ces femmes, toutes passionnées et audacieuses, trouvent dans la relation amoureuse, et particulièrement sexuelle, l’itinéaire qui les libérera des conventions.

Par ricochet, Jane Campion a réussi à donner des hommes une autre image que celle habituellement véhiculée par Hollywood. Elle les regarde avec amour, filme leur corps comme celui d’une femme et croit à la beauté de leurs sentiments sans pourtant les féminiser.

Cette vision de la virilité douce et ferme, inquiétante et apaisante, érotique et complice, reste sans doute la meilleure chose «inventée» par la réalisatrice néo-zélandaise. Devant sa caméra, Harvey Keitel, John Malkovich ou Sam Neil sont des Marlon Brando en puissance.

L’homme de «In the cut», flic à la criminelle, apparaît peut-être comme le plus sexy d’entre eux. Malloy (Mark Ruffalo) est direct, imprévisible, disponible. Il n’a pas de discours sentimental mais une confiance et un dévouement total sur le plan physique. Ce qui, évidemment, terrorise et attire à la fois notre héroïne, Frannie (Meg Ryan), professeur d’anglais, une trentenaire un peu oie blanche en dépit de sa grande connaissance de l’argot («In the cut» signifie «dans la fente» autant que «dans la coupure»).

Jane Campion filme cet Apollon à moustache comme un prince charmant des temps modernes, celui qui réveille l’amante en chaque femme, la révèle à elle-même, mais la laisse libre de ses choix. Malloy aurait tout pour plaire s’il n’était pas soupçonné par Frannie d’être l’assassin en série qui sévit dans son quartier.

L’intrigue de «In the Cut» n’est pas mauvaise, qui fait se croiser habilement tension érotique et criminelle. Mais au lieu de filmer un thriller comme un thriller, Jane Campion met en scène «In the cut» comme un essai sur le genre, truffé de sentences psychanalytiques sur la sexualité féminine et parsemé de symboles phalliques pas franchement finauds. Toujours ce même syndrome du créateur qui se veut plus intelligent que son sujet.

«In the cut» serait-il alors le film d’une affranchie? Pas sûr. Ce n’est pas l’usage de l’argot et de langage cru, le fait de montrer un sexe en érection ou une masturbation féminine, qui changent quoique se soit à l’affaire: Jane Campion se comporte comme une première de classe qui tenterait d’épater ses copines en leur parlant du loup, mais dont les pieds se tortillent de gêne quand elle dit bite ou con.

Morale de ce thriller érotique: Mesdemoiselles, n’ayez jamais peur d’un homme qui aime pratiquer le cunnilingus et qui le fait divinement bien. Méfiez-vous en revanche de ceux qui vous demandent trop rapidement une fellation.