GLOCAL

Des jets d’oeufs pourris sur l’Initiative de Genève

Pourquoi, après la signature des accords, les délégués palestiniens qui revenaient de Genève ont-ils été accueillis si fraîchement à Gaza? L’analyse de notre spécialiste sur le terrain.

Des graffitis condamnant ces accords à mort sur les murs des principales agglomérations… Une presse dénonçant quasi-unanimement leur caractère officieux et illégitime… Des délégués de retour de Suisse accueillis à Gaza par des jets d’œufs pourris et de pierres… Mais qu’arrive-t-il donc à l’initiative de paix inaugurée en grande pompe à Genève en présence des personnalités les plus en vue de la planète ?

La grogne populaire que suscite l’Initiative de Genève peut surprendre. Côté palestinien, il y a en effet de quoi se féliciter des quelques acquis diplomatiques qu’elle a déjà permis d’assurer.


Achetez ici «77 mots clés pour le futur», le premier livre publié par Largeur.com

Le projet d’un Etat palestinien indépendant, point central de l’Initiative de Genève, s’est définitivement profilé comme une condition sine qua non d’une paix durable dans la région; l’intransigeant Premier ministre israélien, Ariel Sharon, est marginalisé sur la scène internationale et la gauche israélienne, discrètement encouragée par l’administration américaine, dit-on à Jérusalem, semble en passe de se réunifier et de se relancer à l’assaut du pouvoir.

Enfin, last but not least, les thèses palestiniennes semblent avoir gagné un peu de terrain aux Etats-Unis où l’on parle désormais moins systématiquement d’«appui à Israël» et plus volontiers «de soutien au processus de paix».

Mais voilà. Les Palestiniens sont fatigués et frustrés de ces victoires diplomatiques qui ne font finalement que souligner l’injustice dont ils sont victimes.

Comment en effet entrevoir la lueur d’espoir que sont sensés apporter ces accords quand, loin de s’atténuer, l’occupation israélienne continue de s’exercer impitoyablement? Eminent symbole de cette occupation, le sinistre mur de séparation, érigé par les Israéliens à l’intérieur des territoires palestiniens, n’en finit plus de s’étendre, défigurant la Cisjordanie de Tulkarem à Jérusalem et attisant d’autant les haines palestiniennes.

A quand le prochain attentat-suicide qui brisera d’un seul coup le timide élan de paix suscité par l’Initiative de Genève?

Autre sujet de mécontentement palestinien: l’incroyable légèreté avec laquelle cette Initiative traite de la question des réfugiés.

Après plus de cinquante années de lutte pour la reconnaissance de leur droit au retour, les réfugiés se voient de facto priés de s’exiler à nouveau ou de se réintégrer de façon permanente dans leurs pays d’accueil actuels.

Le pire n’est sans doute pas là: selon de nombreuses études et sondages, peu de réfugiés (on parle en général de moins de 10% des réfugiés, soit moins de 500’000 personnes) souhaiteraient rentrer dans leurs foyers originels s’ils en avaient l’opportunité. Dans la plupart des pays d’accueil, la réintégration socio-économique des réfugiés est un fait plus ou moins accompli, ce qui explique d’ailleurs le silence embarrassé des dirigeants des pays arabes. C’est aussi le cas de ceux de l’autorité palestinienne et des élites locales qui leur sont liés.

Pour ces derniers, le dossier des réfugiés ne se décline en réalité plus en termes de droit au retour. Il s’agit en priorité de démanteler les camps (autrefois foyers du nationalisme palestinien désormais dépeints comme des espaces de marginalité socioéconomique) et de s’assurer que la communauté internationale financera les plans nécessaires au relogement de leurs habitants.

Ce que les réfugiés exigent, en revanche, est la reconnaissance par Israël de sa responsabilité dans leur exode et, partant, du principe du droit au retour. Le refus israélien de souscrire à cette exigence, entériné par l’Initiative de Genève, sonne comme une insulte à leur mémoire collective et à leur dignité. Et ce d’autant plus qu’il s’agit là d’un peuple qui a fait de ces mêmes thèmes le fondement même de son identité nationale.

Est-ce à dire que l’Initiative de Genève est inutile? Certes pas. Nombres de ses propositions, en particulier celles qui concernent l’Etat palestinien, seront intégrées dans le principe, sinon dans le détail, au sein du futur traité de paix. Ce qui leur manque, c’est une prise en compte de la dimension humaine des aspirations palestiniennes. Condamner au nom d’un certain réalisme les revendications les plus élémentaires de réfugiés ne conduira qu’à une paix sans lendemain.

——
Jalal Al Husseini, 36 ans, est docteur en science politique et chercheur en relations internationales. D’origine suisse et palestinienne, il est domicilié à Amman.