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Avec ou sans Blocher, la Suisse va rester à droite

Lundi dernier, lors de l’ouverture de la nouvelle législature, l’UDC triomphante a donné le ton et la couleur de ce que doit être selon elle la Suisse du XXIe siècle: bardée de drapeaux suisses et chantonnant d’une seule voix la mélodie (car les paroles sont inconnues…) de l’hymne national.

Cette triste mascarade patriotico-partisane nous donne une fois de plus l’occasion de méditer sur le traditionnel décalage entre l’idéologie et la réalité.

Ces gens-là sortent tout droit d’un Zurich qui n’existe plus depuis belle lurette, mais que j’ai encore connu du temps de mes études quand, le soir venu, jeunes et immigrés rasaient les murs, errant comme des âmes en peine sans savoir où aller car la ville vivait pratiquement en état de couvre-feu: les «Fraeunverein» de sinistre mémoire imposaient la fermeture des bistrots à 10 heures du soir!


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Mais les larges jupons de ces femmes de prétendues bonnes mœurs, adeptes du KKK (Küche, Kirche, Kinder), dissimulaient avec beaucoup de peine le bourgeonnement de la métropole naissante, du modernisme qui allait les abandonner pantelantes et désespérées devant des églises vides et d’inutiles cuisines fast-food: elles n’avaient pas saisi que leur progéniture impertinente, libérée et fort peu reconnaissante, allait effacer jusqu’au souvenir leur stupide règne moralisateur. C’est tout le bien que je souhaite aux oriflammes blochériennes.

Mais les vœux pieux ne font pas une analyse politique. A une semaine de l’élection du nouveau gouvernement, où en sommes-nous? A droite, chers lecteurs.

Comme toujours en Suisse, pays conservateur, habité par des conservateurs au conservatisme si fascinant que même les immigrés se hâtent de le singer au point de trouver leur pays d’origine bien sale et, mon dieu!, pas aussi fleuri! A droite, avec un parlement acquis aux trois quarts à la droite. Car je ne vois pas, même en faisant jouer contorsions et illusions, comment nous pourrions classer à gauche ou au centre gauche des politiciens comme Joseph Deiss et Ruth Metzler.

Deiss est solidement installé dans la tradition des notables bien réacs de province pour laisser planer le moindre doute. Quant à Metzler, le pouvoir a accentué chez elle le sourire carnassier de ces yuppies dont la culture se confond avec le compte en banque et qui pensent avec le cœur une fois par an en versant une obole en faveur de l’enfance nécessiteuse.

Avec ou sans Blocher, avec ou sans Christine Beerli ou Hans-Rudolf Merz, nous aurons donc mercredi prochain un gouvernement de droite dans un pays de droite, ce qui, somme toute, paraît assez naturel.

Le chamboulement pourrait venir de la mise à l’écart des socialistes, de leur renvoi dans l’opposition. Tout se joue autour de la réélection ou non de Micheline Calmy-Rey qui figure en dernière position parmi les conseillers fédéraux sortants. Si Blocher ou un PDC l’envoyait dans les cordes, quelle serait l’attitude du PS?

La réponse est connue, même si elle n’a pas été claironnée sur les toits: le parti ne demanderait pas à Moritz Leuenberger de démissionner immédiatement, mais se contenterait de renvoyer la décision sur sa participation au gouvernement à un congrès prévu en mars. Autant dire aux calendes grecques.

C’est intéressant. Cela signifie que toute la stratégie (victorieuse dans les urnes) de Christiane Brunner, qui fut la première rappelons-le à estimer justifiée la revendication d’un second siège gouvernemental par l’UDC, n’aurait en fin de compte abouti qu’à ramener les socialistes à un seul siège au Conseil fédéral.

C’est encore plus intéressant si l’on pense que cette retraite annoncée est cautionnée par la gauche souverainiste et romande du parti emmenée par Pierre-Yves Maillard. Car on peut être à la gauche du PS et savoir compter: un coup d’éclat mercredi prochain avec une démission de Leuenberger par solidarité avec une Calmy-Rey battue enverrait la gauche dans l’opposition pour longtemps.

Et cela dans les pires conditions politiques: avec des démocrates-chrétiens et des radicaux satellisés à droite par Blocher. Rien qui permettrait la recomposition à moyen terme d’un centre-gauche à vocation majoritaire dans le pays.

Je vous le disais: la Suisse est vraiment à droite. A une UDC qui se permet de dire que si Blocher ne passe pas, elle entrera complètement dans l’opposition, le PS fait écho en annonçant que si Calmy-Rey tombe, il ne quittera pas le gouvernement.