Elles sont jeunes, sexy, et n’ont aucun complexe. A l’insu de leurs parents, ces adolescentes montrent leurs corps aux internautes en échange de cadeaux.
«Lorsque j’ai reçu mon premier DVD d’un fan, j’étais dingue de joie. Je n’arrivais pas à croire que quelqu’un qui ne me connaissait pas puisse me faire un cadeau.» Aujourd’hui, Cassita a quinze ans. Elle vit avec ses parents en Ecosse et elle ne se laisse pas facilement impressionner.
Comme des milliers d’adolescentes, Cassita publie son journal intime sur son site et commente par le menu ses joies et ses peines d’écolière. Mais surtout, depuis quelques mois, elle ajoute à ces monologues des images prises avec sa webcam.
Mais pourquoi une jeune fille sans histoire comme Cassita s’exhibe-t-elle (pas nue, certes, mais pas trop habillée non plus) sur internet? «Pour beaucoup d’entre elles, c’est un concours de popularité, explique Marissa, 24 ans, ancienne camgirl. Les plus célèbres disposent de véritables fan-clubs.»

Pour attirer de nouveaux visiteurs, ces filles inscrivent leurs sites sur des portails spécialisés, qui les classent selon le nombre de clics ou de votes obtenus. Le phénomène a été lancé en 1996 par Jennifer Ringley, alias Jennicam, première femme à accéder à cette nouvelle forme de célébrité numérique en se dévoilant, souvent nue, dans son appartement d’étudiante. Il a pris depuis un essor considérable. Certaines camgirls ont grandi devant leur caméra, d’autres en sont revenues.
«Au début, c’est un visiteur qui m’a demandé de faire une liste de cadeaux sur Amazon.com parce qu’il voulait m’offrir quelque chose», raconte Katneko, une Californienne de 21 ans. Elle a reçu un appareil photo numérique. Sa petite sœur Brandi a été tellement impressionnée qu’elle a insisté pour avoir sa propre page, élégamment intitulée «underaged piece of ass» (littéralement, «un sacré cul de mineure»). «Mais c’était pour rigoler», insiste sa grande sœur.
Très en vogue chez les camgirls, ces listes de cadeau permettent de faire envoyer un produit à quelqu’un sans connaître son adresse. Toutes sortes de commerçants proposent cette fonction, depuis la marque de lingerie Victoria’s Secret jusqu’à des sites comme Musotica.com ou PinUpGirlClothing.com.

La jeune Charisma explique qu’elle «ne promet jamais rien en échange des cadeaux, à part un mot de remerciement». «Je ne les encourage pas à m’en envoyer. Mais je pense que les gens qui font cela sont seuls et tristes, et qu’ils trouvent de la joie en nous voyant surprises, ou reconnaissantes. Et s’ils ne faisaient pas cela, je suis sûr qu’ils dépenseraient quand même leur argent bêtement.» Les internautes les plus généreux peuvent espérer recevoir une photo de leur égérie posant avec le cadeau, ou avec petit mot écrit au marqueur sur un bras, voire sur une fesse.
«L’univers d’internet est tellement artificiel que cela peut les pousser à transgresser des limites qu’elle seraient incapables de franchir dans le monde réel, constate Françoise Narring, médecin à l’Hôpital cantonal de Genève et spécialiste de la sexualité des adolescents. Cette expérience est propre à l’adolescence, mais cette avidité pour l’aspect matériel d’une relation, à travers les cadeaux, est inquiétante.»
«Un type m’a proposé 1’000 dollars pour ma chaise de bureau parce que je suis souvent assise nue dessus», raconte Sandrine, la reine des camgirls françaises. Cette belle Rennaise de 25 ans attire un nombre impressionnant d’internautes chaque soir, au moment d’allumer sa webcam. Son site a même été momentanément coupé parce qu’il surchargeait son hébergeur. Quand il est réapparu, un internaute s’est enthousiasmé: «Une de mes grandes drogues vient de refaire surface sur l’internet. C’est ça le trip: une petite fenêtre dans laquelle on voit un instantané de Sandrine, qui change toutes les minutes. Quel intérêt? Rigoureusement aucun. Parfois on entre-aperçoit un téton, des culottes à fanfreluches, un peu de peau satinée. Mais rien de vraiment anatomique.»
«C’est une esthétique de l’ennui, résume Nicolas, accro aux camgirls depuis des années. Puisque l’image est actualisée toute les quinze secondes, il y a du non vu entre deux images. Et l’on peut passer ses nuits à attendre la suivante».
Maintenir un site populaire coûte de l’argent. Pour financer le sien, Cassita propose l’accès à une section payante où elle s’entretient plus «librement» avec ses admirateurs. Ce qui lui vaut des commentaires peu sympathiques d’autres camgirls. Mais Cassita n’en a cure, et continue son petit business tous les soirs, à l’insu de ses parents.
Brittany, qui a créé son site à 17 ans, conclut positivement: «Cela m’a aidé à m’accepter. Avant, j’étais très timide. Ma plus grande crainte était que l’on me juge sans me connaître. Maintenant, je m’en fous complètement.»
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Une version de cet article a été publiée dans l’édition automnale du magazine Type.
