Voilà, les élections sont passées. Et quoi? Malgré tous mes efforts, je n’ai pas réussi à m’intéresser une seule seconde à cette campagne. La plupart des gens qui m’entourent non plus. Nous sommes pourtant des citoyens privilégiés: éduqués, informés, intéressés aux affaires du monde, dotés de bon sens, passablement travailleurs, amateurs de culture et de plaisirs, socialement responsables et intellectuellement curieux.
Et pourtant, ces élections fédérales n’ont pas réussi à éveiller chez nous le moindre soupçon d’intérêt. Les seules discussions valables que j’ai eues à cette occasion concernaient précisément cette absence d’intérêt — et le sentiment de légère culpabilité qui l’accompagnait.
Une amie me disait par exemple qu’elle n’avait pas détecté un seul candidat auquel elle aurait pu s’identifier. « Je ne les comprends pas, ils ne parlent pas mon langage, la plupart ont l’air plouc, je n’ai pas envie de leur ressembler. » Son compagnon allait plus loin: il disait que tout avait l’air artificiel et forcé. « On a l’impression que seul un petit groupe de politiciens et de journalistes font semblant de s’intéresser à cette campagne. L’UDC blochérienne au gouvernement, la fin de la formule magique, tout le monde s’en fout. »
Tout d’abord, j’ai trouvé cela assez grave: ces élections vont avoir des conséquences très concrètes sur nos vies. On devrait y prêter attention. Et puis je me suis dit que finalement pas du tout. Rien ne va changer, comme d’habitude.
Les affaires suisses vont poursuivre leur petit chemin provincial, sans être soumises au moindre coup de volant ou d’accélérateur. La présence de Blocher au gouvernement ne modifierait pas grand chose. Le pays ne va pas se trouver brusquement dirigé: il va continuer à être géré administrativement. Il y aura toujours une droite, une gauche, un consensus à Berne et une dissolution fédérale du pouvoir. Voilà pourquoi tant de monde se fiche de ces élections.
On sent bien que la petite Suisse n’est pas à la hauteur des grands enjeux du moment. Croissance économique, immigration clandestine, menace terroriste et réglementation du commerce, les vraies questions se réglent désormais à l’échelle globale. Et chacun sait que seule l’Union européenne est de taille à tenir tête à la puissance américaine ou à la concurrence asiatique.
Je ne veux pas dire par là que la Suisse doit se résigner à un rôle de spectatrice des affaires du monde. La politique fédérale est ridiculement provinciale, c’est vrai, mais elle n’a peut-être pas dit son dernier mot. Le pays bénéficie d’une bonne image en matière de finance, de technologie, de démocratie directe et de contrôle de la qualité.
En s’inscrivant clairement dans une perspective européenne, la politique suisse pourrait bénéficier d’une vraie chambre d’echo. Elle pourrait agir dans ses domaines de compétence et montrer qu’elle a compris l’évolution de la planète.
Si un parti avait le courage d’admettre que les grands problèmes politiques suisses ne peuvent être traités qu’à l’échelle européenne, s’il avait le courage de militer clairement pour l’adhésion, je voterais pour lui et je ne serais sans doute pas le seul.
Au début, bien sûr, ce parti serait traité de ringard par des éditorialistes poussiéreux; ses scores seraient sans doute faibles aux élections; une bonne partie de ses militants le déserteraient.
Mais ce parti pourrait répondre aux critiques de Christoph Blocher avec des arguments massue parce qu’il parlerait clair: il aurait l’assurance d’avoir raison sur le long terme.
La politique fédérale pourrait alors sortir de ses dossiers administratifs et aborder de vrais enjeux. Peut-être même que les campagnes électorales en deviendraient intéressantes.