KAPITAL

Il y a trente ans, le monde changeait d’époque

En pleine folie pétrolière, le mois d’octobre 1973 marquait la fin des trente glorieuses et l’entrée dans l’ère de la mondialisation. Perspective historique.

A la mi-octobre 1973, alors que la guerre entre l’Egypte et Israël fait rage sur les rives du canal de Suez, alors que le général Sharon juche ses troupes spéciales et quelques blindés sur des radeaux pour leur faire traverser le Grand Lac Amer afin de contourner les lignes ennemies, alors que les Israéliens ne savent vraiment pas encore de quoi seront faits leurs lendemains, les pays membres de l’OPEP tiennent leurs assises régulières à Vienne.

Le 17 octobre au matin, ils annoncent une forte augmentation des prix: le brut affiché saute de 3 dollars le baril à 5,1! Presque le double.

Or pendant toutes les années 60, le prix du baril fixé à 1,8 $ n’avait pas varié, même lors de la Guerre des Six-Jours. De leur côté, mais le même jour, les producteurs arabes de pétrole réunis à Koweit annoncent diverses mesures dont la cessation immédiate des livraisons de pétrole aux Etats-Unis, à l’Afrique du Sud, aux Pays-Bas et au Portugal, pays taxés d’amis d’Israël. Et une réduction de la production de 5% par mois tant que les troupes juives n’auraient pas évacué les territoires occupés.

Dans le monde capitaliste, c’est la panique. Les Etats-Unis assistent impuissants à l’utilisation de cette arme nouvelle. Mais comme ils sont peu tributaires du pétrole arabe (6% seulement à l’époque), Nixon peut encore se payer le luxe de soutenir sans réserve Israël. Il annonce le 20 octobre l’ouverture d’un crédit de 2,2 milliards de dollars pour réarmer Tsahal.

Beaucoup plus dépendants du Moyen Orient, l’Europe et le Japon échappent de justesse à l’embargo, mais doivent en payer le prix politique et financier. Les producteurs fixant eux-mêmes les prix, la vente aux enchères se généralise et en décembre 1973, le brut africain s’enlève déjà à 16 dollars le baril, l’iranien deux semaines plus tard à 17 $ et le nigérian à 22 $ en janvier 74.

Ce choc énergétique marqua durablement les esprits. C’est en novembre 1973 que les Européens découvrirent les premiers dimanches sans voiture. Les utopistes y virent le signe de la décadence inéluctable de la bagnole, d’autant plus que nombre de faux prophètes prédisaient l’épuisement des ressources pétrolières pour le milieu des années 1990.

On a vu ce qui est advenu et nous voyons chaque jour où nous en sommes! Avec le recul, c’est ce mois d’octobre 1973 qui est ressenti comme la fin des trente glorieuses et la reprise du cycle des crises économiques et du chômage.

En réalité, la crise s’était manifestée ouvertement par l’effondrement du dollar en août 1971, lorsque pour sauver sa monnaie, Nixon suspendait la convertibilité-or du dollar et taxait les importations américaines de 10%. Par solidarité, les Européens avaient fermé pendant quelques jours les marchés de devises.

Cette crise, survenant peu après la bourrasque politique de mai 68, avait marqué la sortie définitive de l’après-guerre. Celle de l’énergie en 1973 annonçait quant à elle l’entrée dans l’ère de la mondialisation. Et des incertitudes. C’est alors que la Suisse songea à se doter d’une assurance chômage que le plein emploi des décennies précédentes n’avait pas rendue indispensable.