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Etienne Wenger, le chercheur suisse qui révolutionne la gestion de la connaissance

Le 18 septembre 1988, lors d’une conférence publique à San Diego, le chercheur suisse Etienne Wenger a lancé le concept de «community of practice». Quelques quinze ans plus tard, ce concept est en train de révolutionner la gestion de la connaissance dans les entreprises du monde entier.

Que s’est-il passé? Comment ce chercheur neuchâtelois, devenu docteur en intelligence artificielle de l’Université de Californie, a-t-il réussi à convaincre des firmes comme Chevron, DaimlerChrysler, McKinsey, Shell et Xerox?

D’abord, il faut comprendre que dans les économies avancées, la connaissance est devenue le principal moteur économique. Les grandes entreprises travaillent assidûment pour capitaliser cette réalité. On parle désormais du knowledge management (gestion de la connaissance) comme du facteur déterminant pour les gains en productivité et pour la compétitivité des entreprises.

La gestion de la connaissance a pris ces dernières années toutes sortes de formes, allant de groupes de travail ad hoc à des unités orientées clients, en passant par des logiciels de capture du savoir-faire tels que les systèmes experts.

Ensuite, lorsque l’on parle de connaissance, on doit comprendre la différence qu’il y a entre la connaissance et le savoir-faire propres à un seul individu et ceux qui sont portés par une groupe d’individus. On parle alors d’intelligence collective. Ce terme a été pour la première fois employé il y a une vingtaine d’années par le philosophe français Pierre Lévy lorsqu’il a voulu décrire le phénomène de l’industrie horlogère suisse porteuse d’un savoir-faire collectif.

Enfin, il faut saisir l’importance du dynamisme du processus de connaissance. En effet, celle-ci ne cesse d’être améliorée, ne cesse d’être réinventée. Si l’on tente d’en faire l’inventaire à un moment donné, comme la plupart des grandes encyclopédies l’ont tenté, on perd immédiatement la notion du temps. Ce qui était vrai hier dans la connaissance l’est rarement aujourd’hui.

Etienne Wenger a bien saisi ces trois aspects particuliers de la connaissance en définissant le concept de «community of practice». En résumé, ce concept recouvre le fait qu’un groupe de gens à l’intérieur d’une institution ou d’une entreprise peuvent d’une manière peu formelle partager leur savoir et leur connaissance, par exemple pour résoudre un problème.

La particularité de ces groupes tient au fait qu’ils n’organisent pas de séances. Ils évitent donc le piège de la «réunionite», et collaborent par échange mutuel et rapide du savoir, notamment par e-mail. Ils ont en quelque sorte externalisé les savoirs par la pratique de l’échange, car la connaissance a une particularité spécifique: on ne perd jamais sa propre connaissance, même après l’avoir échangé! C’est le seul produit, en quelque sorte, qui grandit plus on le partage.

Chercheur, puis consultant indépendant, Etienne Wenger a développé ce concept de «community of practice» en traitant de questions fondamentales telles que l’identité et le processus d’apprentissage. Mais son approche n’est pas restée seulement philosophique: il l’a immédiatement appliquée à des questions très concrètes, liées à la gestion d’entreprise, aux structures d’organisation et à la stratégie commerciale. C’est ainsi qu’il a attiré l’attention desmultinationales, qui le mandatent régulièrement pour des recherches ou des conférences.

La «community of practice» a vraiment pris son envol lorsque les gens de chez Xerox l’ont adoptée. Dans les milieux des entrepreneurs, on raconte cette histoire extraordinaire des réparateurs de photocopieuses qui s’étaient organisés en «community of practice» pour s’échanger l’expertise des pannes, et leur capacité à recevoir une réponse en quelques minutes de n’importe quel coin du monde.

Xerox fut la première entreprise à utiliser cet outil du knowledge management. La «community of practice», que Wenger a expliquée dans de nombreux >livres, est aujourd’hui largement employée chez Daimler Chrysler, Shell ou Schneider Electric. La connaissance est devenue dynamique, externalisée et une véritable force de progrès pour les entreprises.

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Xavier L. Comtesse, phD, est le directeur romand d’Avenir Suisse, think tank financé par les grandes entreprises du pays.