«J’ai presque honte de le dire mais la crise du marché est une chance pour les radios. Les ventes d’espaces publicitaires sur les six premiers mois de cette année sont en progression de 30% par rapport à 2002!» Le constat de Gérard Schoch, directeur de Radio Lac, peut surprendre dans cette période que les publicitaires considèrent comme la plus sombre depuis la deuxième guerre mondiale.
Car si les journaux souffrent, fusionnent ou meurent pour cause de baisse constante des revenus publicitaires, les 43 radios privées du pays ne se sont jamais aussi bien porté.
Raoul Gerber, planificateur de campagnes chez IP-Multimedia, n’a aucune peine à expliquer ce succès: «Quand les temps sont durs, les commerçants choisissent de mettre l’accent sur les opérations de marketing immédiates afin d’augmenter la fréquentation dans les magasins, ce qu’on appelle le «store trafic». Ils abandonnent par contre les stratégies à long terme qui visent à augmenter la notoriété de la marque — le «branding». Les supports qui bénéficient de cette situation sont donc les prospectus tout-ménages et surtout, les radios locales.»
Depuis dix ans, les radios privées suisses n’ont cessé d’augmenter leur part de marché. De 2,6% des dépenses publicitaires en 1993, elles récolteront plus de 4% cette année. «Et il reste de la marge car en France, en Italie ou aux Etats-Unis, environ 10% des budgets vont dans les radios», ajoute Raoul Gerber.
La plupart des radios peuvent déjà ressentir cette progression. «En 2003, le volume publicitaire régional de nos radios a augmenté de 13% à Genève et de 11% à Lausanne, se réjouit Chris Wolf, directeur de Régie Networks Léman, qui commercialise la publicité pour le groupe NRJ-Nostalgie. Notamment grâce à des offres créatives comme les jeux sponsorisés.»
Chez Media One Contact, la régie de One FM, Lausanne FM et Europe 2, on se frotte les mains: «Les annonces locales ont augmenté de 20% cette année, alors que 2002 était déjà une très bonne année, dit le directeur Michel Colin. C’est aussi parce que la radio suisse a atteint un stade de maturité qui fait confiance aux annonceurs: nous avons de meilleurs outils d’analyses, des offres plus professionnelles et des chiffres précis.»
Depuis 2001, les mesures d’audience se font au moyen du système Radiocontrol: une montre bracelet qui prélève des échantillons de l’environnement sonore de son détenteur. Ce système unique au monde permet de mesurer aussi l’écoute passive, c’est-à-dire l’exposition non volontaire de l’auditeur, par exemple dans un taxi ou un magasin.
Autre dopant du média radiophonique: la mode — très importante dans le milieu publicitaire. «Aujourd’hui, la tendance chez les annonceurs consiste à rapprocher toujours plus le message publicitaire de l’acte d’achat, ce qui augmente théoriquement l’impact», explique Raoul Gerber, directeur d’IP-Multimedia.
Pour répondre à ce besoin, la radio propose des diffusions de plus en plus ciblées. «On a constaté que les gens qui vont au cinéma choisissaient leur film au dernier moment, environ une heure avant d’aller le voir. Du coup, on diffuse les lancements en fin d’après-midi, dit Michel Colin de Media One Contact. Même chose pour les achats de véhicules d’occasion ou de mobilier, qui s’effectuent essentiellement le samedi. La radio peut suivre de très près les habitudes de consommation, beaucoup mieux que la presse ou la télé, et pour une fraction du prix.»
Un spot radio peut être réalisé en une journée pour quelques centaines de francs. Les prix de diffusion sont compétitifs: «Pour environ 15’000 francs, soit le prix d’une page de pub dans un journal, on fait tourner un spot cinq fois par jour sur nos trois chaînes pendant 15 jours», détaille Michel Colin.
Si les radios privées ont le droit de diffuser de la publicité jusqu’à concurrence de 15% du temps d’antenne, soit 200 minutes quotidiennes, Radio Lac ne dépasse pas 60 minutes. «Je préfère monter les prix pour éviter de submerger l’auditeur», dit son directeur Gérard Schoch. One FM et NRJ montent jusqu’à 120 ou 140 minutes, avec des tunnels de pubs qui vont jusqu’à 3 minutes 30.
Ensemble, les trois chaînes basées à Genève atteignent un chiffre d’affaire annuel de 15 à 18 millions de francs par an. Les stations musicales réalisent les bénéfices les plus importants, car elle n’ont pas besoin de produire de l’information.
Pour réduire les coûts sans rogner sur l’info, Radio Lac a fait preuve d’imagination en mettant en place un partenariat avec la RSR: une rédaction commune travaille pour les deux chaînes. «Je profite d’une équipe de 14 journalistes mais je n’en paie que cinq, résume Gérard Schoch. En plus, je peux utiliser les sujets des correspondants de la Radio romande, les outils informatiques et les agences de presse.»
Les autres radios locales utilisent un système moins élaboré pour produire de l’information à bas prix: elles sous-paient un personnel peu formé. «Les moyens sont dérisoires, raconte une ex-stagiaire d’une chaîne locale. Pour réaliser nos bulletins d’info, on répète ce qu’on a lu dans les journaux et on puise dans les dépêches gratuites sur internet. Très rarement, on se déplace pour réaliser un sujet à l’extérieur ou pour participer à une conférence de presse.»
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Une version de cet article a été publiée dans l’Hebdo du 31 août 2003.