En expliquant que les gens font des enfants parce qu’ils ne savent pas faire des chiens, Coluche sous-estimait l’égarement des sociétés qui lui survivraient: telle que la «Dog attitude» triomphe aujourd’hui, les chiens supplantent déjà les enfants comme extensions de l’humain.
Ainsi ne compte-t-on plus les sites Internet et les publications ad hoc (ah dog!) où sont proposés, à l’usage de nos chers frères et sœurs à quatre pattes, les massages relaxants, les séances d’acupuncture, les produits aromathérapeutiques, les prescriptions diététiques et les consultations psychanalytiques visant à l’exploration de leur Surmoi – à moins que l’achat du Jog a dog, tapis roulant de jogging canin, se soit avéré suffisant.
Comme dirait l’autre, la crotte d’alerte est donc atteinte sur un fond d’équation désespérément persistante à travers l’Histoire: plus la misère morale des peuples s’accroît, plus elle suscite de marchés spécifiques juteux. Tenez. Vous sentez-vous incompris à l’intérieur de la sphère familiale? Souffrez-vous de solitude au sein de la foule anonyme? Êtes-vous crypto-dominateur frustré par un déficit persistant de victimes? Aimeriez-vous mordre la planète entière, mais vos mâchoires sont décidément trop molles depuis que vous avez quitté Maman? Rien de plus simple à soigner! Un clébard, et hop: tout ira bien – à condition, précisons-le, que vous cheminiez entre deux rangées d’attrape gogos patentés.
Etienne de Swardt et Laurent Jugeau, deux anciens de chez Givenchy, l’ont compris au point d’imaginer la ligne D.O.G. Generation, suffisamment florissante pour être à l’origine de plusieurs «concept stores» disséminés à l’échelle internationale. Le produit phare s’en avère à ce stade «Oh My Dog!», premier parfum sélectif pour chiens, élaboré par Bernard Ellena de l’entreprise Dragoco, et vendu dans un emballage or et marron nacré de la plus belle élégance après qu’une équipe de cosmétologues, de pharmaciens, de dermatologues et de vétérinaires se furent dûment associés pour mener à son sujet tous les tests requis selon les protocoles usuels.
Ainsi va notre époque. Elle a de l’avenir, si je puis dire, dans la mesure où l’on dénombre de nos jours à peu près 105 millions de chiens dans le monde, dont 58 millions aux Etats-Unis, 7 au Japon, 8 au Royaume-Uni, 8 en France et plus de 500’000 en Suisse. Sacré marché, à vue de truffe, non? Déjà manucurés, décolorés et frisés, voire mariés comme au Japon (où des établissements de thalassothérapie leur sont réservés), quand ils ne sont pas accueillis comme de purs paroissiens lors de messes canines archicombles en l’église Sainte Rita à Paris, ils vont décidément permettre que tous les damnés de la planète, immigrés, ouvriers, réfugiés, chômeurs ou dépressifs écrasés par le Système, soient définitivement traités comme des bêtes. Médor est un petit malicieux.