LATITUDES

Des balles qui vont trop vite

A cause des services toujours plus puissants, la durée des échanges ne cesse de diminuer. Elle n’atteint que 5 secondes dans les tournois du Grand Chelem. Un exemple de plus de notre obsession de la vitesse.

Comment ralentir? Une réflexion à laquelle notre société si admirative de la vitesse ne nous avait pas habitués. Les organisateurs de tournois de tennis s’y trouvent pourtant confrontés. Des balles trop rapides, des échanges toujours plus brefs tuent le spectacle.

«Actuellement, le tennis est trop axé sur la puissance et pas assez sur la finesse et l’habilité», estiment 72% des Britanniques selon un récent sondage publié dans le Daily Telegraph. Les spectateurs frustrés de longs échanges aspirent à des matchs qui ne se réduisent pas à un enchaînement d’aces ou de services gagnants. Même un Alberto Costa déclare: «Quand je vois deux serveurs s’affronter, je ferme la télé.»

Plus que des balles, ce sont des «scuds» dévastateurs qu’expédient un Andy Roddick (actuel détenteur avec Rusedski du service le plus rapide, soit 239,7 km/h) ou une Venus Williams (détentrice féminine avec 205 km/h). Face à de tels tirs, les candidats-relanceurs disposent d’un infime temps de réaction (respectivement 0,5 sec et 0,6 sec).

André Agassi vient d’en faire l’amère expérience. Face à Mark Philipoussis, 46 aces l’ont laissé perplexe. Quand un gros serveur exploite au maximum son potentiel, l’adversaire est condamné à faire de la figuration. Alors que, dans les tribunes, les mouvements de tête des spectateurs s’accélèrent pour tenter de capter ces instants fugitifs.

Un petit retour dans les années 70 permet de mesurer une évolution imputable principalement aux raquettes. En devenant plus grandes, plus dures et plus légères, elles permettent aux joueurs de frapper avec davantage de force et de contrôle. Armé de bois, Jimmy Connors passait, à l’époque, pour un excellent serveur avec ses balles à 160 km/h, une vitesse qui semble ridicule en comparaison du service de n’importe quelle joueuse femme aujourd’hui.

Selon une étude portant sur les tournois du Grand Chelem de 2001, les échanges ont duré en moyenne 5,2 secondes chez les hommes et 7,1 secondes chez les femmes. Ceci expliquant – avec les tenues de plus en plus déshabillées – la popularité grandissante des tournois féminins. C’est d’ailleurs à Wimbledon, avec sa surface extrêmement rapide, que l’on enregistre les échanges les plus courts.

«Le plus important problème auquel nous sommes confrontés est le danger de voir la pratique du tennis dépasser les limites physiologiques et biomécaniques des possibilités humaine», estime Stuart Miller, manager technique de la Fédération internationale de tennis (ITF). Que l’on ne s’y trompe cependant pas ! La préoccupation principale de l’ ITF n’est pas tant la préservation de la santé des joueurs que la menace qui pèse sur la santé médiatique d’une discipline sportive à l’audimat en perte de vitesse.

Mais qu’entreprendre pour retrouver un tennis qui puisse avoir raison de la seule force de frappe? A la fin de ce mois, du 28 au 30 juillet, le deuxième Congrès international «Tennis, Science & Technology» se tiendra à Londres. Au programme figurent précisément une réflexion sur les mesures à envisager pour ralentir le jeu et le rendre plus attrayant.

Parmi celles-ci on relève: une augmentation de la taille des balles et la réduction de celle des raquettes, la modification des surfaces de jeu, l’obligation pour les joueurs de servir à une bonne distance de la ligne de fond ou encore la possibilité de ne servir qu’une seule fois.

Penn et Wilson les deux principaux producteurs de balles ont créé des prototypes de balles avec une résistance à l’air plus grande, donc plus lentes. Leur diamètre est supérieur de ½ centimètre à la taille standard et elles pèsent 2 grammes de plus. Les conséquences de leur usage viennent d’être testées.

La crainte de blessures plus nombreuses que craignaient les détracteurs d’une telle mesure n’est pas fondée selon l’étude publiée dans le «Journal of Science and Medecine in Sport» et les échanges, parce que plus longs, sont plus palpitants aux yeux des spectateurs.

Si de telles mesures «ralentissantes» devaient être mises en œuvre, elles seraient emblématiques de ce que l’essayiste Paul Virilio appelle de ses vœux depuis plus de vingt ans. Père de la «dromologie» (de dromos, vitesse et logos, discours), une discipline qui s’intéresse aux ravages de l’accélération omniprésente dans notre société occidentale, le penseur français de la modernité s’est fait le chantre de la décélération.