LATITUDES

Désormais les hommes crient aussi. Han!

Quand les joueuses de tennis ont commencé à crier sur le court, on disait qu’elles accouchaient. Les hommes s’y sont mis sans que l’on s’en étonne. Ces cris sont utiles: ils mobilisent l’énergie et atténuent la douleur.

Un silence presque total, ponctué par les seuls commentaires de l’arbitre et les applaudissements retenus de spectateurs disciplinés: telle fut l’ambiance sonore des courts de tennis avant l’arrivée de Monica Seles au début des années nonante. Une décennie plus tard, tout a changé. De nombreux téléspectateurs ont pris l’habitude de couper le son pour suivre plus posément le spectacle.

Monica Seles a payé le prix fort pour avoir révolutionné le monde du tennis en accompagnant ses frappes de cris énergiques. En 1992, lors des quarts de finale à Wimbledon, son adversaire Nathalie Tauziat s’en est même plaint. L’arbitre demandera à plusieurs reprises à Monica Seles de se maîtriser. En demi finale, elle est à nouveau réprimandée; ses cris agacent cette fois la reine Martina Navratilova. En finale, Steffi Graf, qui la bat impitoyablement, ne relève pas ce comportement novateur.

Quantité d’autres joueuses ont rapidement imité Monica en rythmant par un cri chaque coup de raquette. Ces cris ont d’emblée été qualifiés d’«hystériques», si ce n’est d’«orgasmiques» par des journalistes machistes qui n’ont toujours pas disparu. Un exemple: le commentaire du premier jeu de tennis sur Playstation 2, «Smash Court Tennis»: «Namco a eu la bonne idée de diminuer un peu l’ampleur des cris des femmes qui, comme vous le savez, ne sont pas toujours agréables à écouter. Cela ressemble parfois à un accouchement, et ce n’est pourtant qu’une simple balle verte qu’on frappe…»

On ne s’est pas demandé, lorsque l’Autrichien Thomas Muster a adopté la technique vocale de ces dames et fait des émules dans le camp masculin, si les cris mâles étaient le fait de joueurs ne sachant pas se maîtriser, ou s’ils étaient simplement plus agréables. Il y avait des précédents: lanceurs de boulet et de javelot poussaient, au paroxysme de l’effort, toute une gamme de cris allant du couinement à la gueulante, sans oublier les arts martiaux où les assauts s’accompagnent souvent de cris ahurissants. En passant d’un sexe à l’autre, le cri tennistique a perdu sa connotation péjorative pour devenir une pratique que plus personne ne relève. Elle est devenue courante. Comme les larmes, d’ailleurs.

Roland-Garros nous l’a prouvé une fois encor: suivre un match permet d’enregistrer combien le répertoire vocal humain est souvent proche de celui de l’animal. Les psychologues du sport l’affirment: rugissements, gémissements, grognements, hurlements sont autant d’encouragements à mobiliser le maximum d’énergie dans un sport qui requiert de plus en plus de force. L’évolution de la vitesse des services, plus de deux cents kilomètres à l’heure, en atteste!

Les jeunes s’étonnent d’apprendre qu’il fut une ère de «l’avant-cri» alors que les plus âgés restent perturbés par ce mode d’expression. Quant aux joueurs amateurs de tout âge, ils restent en général silencieux lors de leurs entraînements et réservent leurs cris aux compétitions. Ainsi, Joël les utilise pour déstabiliser son adversaire. Claude crie pour s’insuffler du courage lorsque pointe la douleur. Pierre sait qu’il crie fréquemment, quant au quand et pourquoi… Enfin, Morgan, seize ans, rigole en entendant ses camarades crier à longueur de sets. «Ils font ça uniquement pour la frime! Moi je ne crie qu’en fin de partie, ça sort tout seul, tant je suis fatigué.»

Si les courts sont de moins en moins silencieux, il en va de même pour les gradins qui les entourent. Il suffit de se rappeler Toulouse (Coupe Davis 2003, France-Suisse) et son ambiance stade de foot avec «Marseillaise» et olas. Mais que les puristes se rassurent, les tennismen qui crient restent des gentlemen comparé aux footballeurs qui crachent!