Outre une Micheline Spoerri effarée et l’inutilité de l’armée, ce week-end de violences a aussi révélé de nouveaux comportements policiers.
Que fait donc la police? – «Pas grand chose!» fut la réponse unanime en ce long week-end de manifestations anti-G8 à Genève et Lausanne. Et chacun d’y aller de son commentaire sur la lourdeur de l’appareil policier, la mobilité des casseurs, la passivité complice des badauds. Mais encore?
Pour avoir suivi les événements de loin, j’ai été frappé par quelques petites nouvelles qui m’ont fait comprendre que la société a vraiment changé.
Par exemple, mardi matin, un tout petit groupe de quelques dizaines de manifestants bloquant le Grand Pont de Lausanne et par conséquent asphyxiant tout le centre ville, sous le regard protecteur de policiers soucieux de respecter la liberté d’expression.
Puis, quelques instants plus tard, devant le CHUV lausannois, ces officiers de police discutant avec un manifestant masqué le repli du dernier carré de protestataires. L’accord passé, un officier de police en uniforme tient à bout de bras le mégaphone du manifestant qui, toujours masqué, demande à ses camarades de se replier.
Ou encore: l’annonce d’une assemblée syndicale ayant réuni mardi après-midi 700 policiers genevois écœurés et fourbus mais encore capables de poser des conditions pour poursuivre leur travail.
Et bien sûr: Micheline Spoerri volant de télé en radio, du public au privé, pour proclamer avec force et autorité sa grande découverte: l’existence d’une horrible guérilla urbaine bien organisée, comme si, depuis les révolutions de 1830 (mais oui!) la guérilla urbaine ne faisait pas partie de l’arsenal de toute protestation sociale digne de ce nom.
Une conclusion saute aux yeux: cette Madame Spoerri (elle n’est pas libérale pour rien) appartient à un monde révolu où l’autorité était la valeur suprême, intouchable, indiscutable. Institutrice, elle donnerait avec conviction du martinet sur les fesses d’un enfant rebelle. Chef de la police, elle croit qu’il lui suffit d’ordonner pour être obéie, alors que la police elle aussi a changé.
Les temps sont passés où le flic pensait ras le képi, exécutait les ordres sans barguigner, pliait humblement l’échine devant le chef. Mai 68 et son souffle libertaire (il est interdit d’interdire!) est aussi passé chez eux et la profession en a été transformée. Le processus a peut-être été plus lent qu’ailleurs, mais il est irréversible.
A Genève, cela fait des années que les policiers, solidement encadrés syndicalement, demandent que compte soit tenu des modifications de leurs conditions de travail, de la dangerosité, de la pénibilité des horaires irréguliers.
Autrefois, ces critères ne passaient même pas par l’esprit de gens sans qualification recrutés dans l’arrière-pays pauvre du Valais, du Jura ou de la Gruyère. Or les résistances hiérarchiques sont fortes et la modernisation se fait attendre. Les auteurs de l’étonnant film documentaire «Pas les flics, pas les Noirs, pas les Blancs» consacré à une rare expérience de dialogue entre policiers genevois et immigrés ont pu toucher du doigt cette rigidité de l’appareil.
Dans une société qui est devenue antiautoritaire, ouverte et respectueuse du droit des gens, le bon fonctionnement de l’organe de contrôle social et d’autodéfense qu’est la police nécessite une attention au moins aussi vive que celle qui est portée à l’enseignement et aux enseignants. Avec ce que cela suppose de qualifications à l’engagement, de formation continue, de hausse du niveau des salaires et, surtout, d’intégration dans le corps social pour éviter des dérapages corporatistes et fascisants. Cela suppose aussi le dépassement des barrières communales ou cantonales qui n’ont plus lieu d’être dans une société par ailleurs de plus en plus globalisée.
Tout cela a un coût que l’on pourrait détourner avec profit d’une armée vouée au désœuvrement et à l’immobilisme quand elle n’est pas à la parade. Car au fait, qu’ont donc fait les 7000 hommes placés sous le commandement du divisionnaire Fellay?
