Les Suisses piratent beaucoup. De la musique, des films, mais aussi des jeux vidéo et des logiciels. Le développement fulgurant des accès internet à haut débit (ADSL, câble) accentue le phénomène, et l’Association suisse de lutte contre la piraterie (baptisée «SAFE») passe désormais à l’action.
Fondée pour lutter contre la fraude organisée, cette association – qui regroupe les grandes maisons de disques, les studios et les éditeurs de jeux – avoue qu’elle surveille de près les usagers suisses des réseaux d’échange de fichiers, comme Kazaa ou iMesh.
«Traquer l’internaute qui télécharge de la musique ici et là ne nous intéresse pas, mais ceux qui partagent de grandes quantités de contenus protégés par des droits d’auteur sont dans notre collimateur, explique Philip Sinz, juriste chez SAFE. Le problème est que ces programmes de partage forcent l’utilisateur à mettre à disposition ses propres fichiers, et donc le rendent coupable plus ou moins à son insu.»
Traquer l’internaute voleur n’est techniquement pas simple. Surtout, cela nécessite la complicité du fournisseur d’accès, seul détenteur des données permettant de coincer les usagers: heures des connexions, adresses IP, identité et contenus des fichiers qui circulent. Impossible d’avancer sans qu’une plainte ne soit adressée au fournisseur d’accès. «Nous sommes maintenant préparés à ce cas de figure: une telle procédure juridique est d’ailleurs en cours actuellement», avertit Philip Sinz. Tremblez jeunesse: on apprendra prochainement lequel, parmi les milliers d’internautes suisses qui s’échangent des fichiers illégalement sur le net, est sous le coup d’une plainte des majors. Il risque la prison et une amende salée.
Mais la voie juridique reste longue, complexe, arbitraire, et souvent inutile, comme l’a montré le procès contre Napster. Les studios utilisent désormais d’autres moyens pour freiner l’usage des plateformes d’échange de fichiers. Par exemple, elles diffusent elles-mêmes des morceaux truqués qui, sous des titres recherchés des internautes, ne contiennent qu’une partie de la chanson en boucle, ou encore des messages censés les culpabiliser, comme dans le cas récent du dernier single de Madonna.
Fréquence Laser victime
Les fichiers partagés réservent parfois des surprises moins amusantes lorsqu’il s’agit de jeux vidéo ou de logiciels, qui contiennent très souvent des virus. On comprend ainsi qu’une des seules dépenses que s’octroie le pirate informatique est l’achat d’un logiciel d’antivirus…
L’industrie doit lutter contre l’attrait considérable que représente la disponibilité immédiate et gratuite de logiciels, de musique et, de plus en plus, de films. La dernière mode consiste en effet à télécharger des longs-métrages entiers, à partir de DVD ou de projection en salle filmée avec des caméras numériques. Certains réseaux, comme Bit Torrent, se spécialisent dans l’échange de films. Ainsi, Matrix Reloaded était disponible sur ce réseau, quelques jours avant sa sortie en salle. On y trouve aussi des épisodes de séries américaines, rendus disponibles avec des mois d’avance sur l’Europe.
De tels réseaux d’échange se financent de manières différentes. Les plus connus, comme iMesh ou Kazaa, incorporent des «sous-programmes» (baptisés «Spyware»), qui diffusent de la publicité ciblée à l’usager sous forme de pop-up ou de spam.
Les effets secondaires sont moindres, si ce n’est une baisse considérable de la performance de la machine.
Les vendeurs de disques figurent parmi les premières victimes commerciales de cette piraterie à grande échelle. En Suisse, la baisse des redevances sur les droits d’auteur – collectées par un organisme appelé Suisa – a atteint 10% depuis 2002. «Il y a un lien indéniable entre la diffusion des accès à haut débit et la baisse des ventes de CD. Les pays où les accès rapides sont répandus, comme le Japon, les Etats-Unis ou l’Europe, sont ceux qui enregistrent la plus forte baisse des ventes de CD», explique Vincent Salvadé, directeur du service juridique de la Suisa.
Si elle ne s’explique pas seulement ainsi, la faillite de la chaîne Fréquence Laser, annoncée cette semaine, illustre le propos. «Cela ne viendrait pas à l’esprit de la majorité des gens de voler un CD ou un DVD dans un magasin, poursuit Vincent Salvadé. Mais les internautes ne font plus le rapport. Nous essayons de sensibiliser le public pour qu’ils comprennent que ce sont les artistes qui en souffrent. Mais la tâche n’est pas facile.»
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 25 mai 2003 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.