LATITUDES

Une réaction aussi atypique que cette pneumopathie

Les médias du monde entier n’ont plus que ces quatre lettres à la une: SRAS. Pourraient-ils cesser de nous prendre pour des imbéciles?

Les nouvelles du front sont très mauvaises: on comptait lundi 332 morts et 4’800 blessés sur les quelque 6 milliards d’habitants de la planète.

Des chiffres franchement inquiétants. Effrayants même. D’ailleurs un signe ne trompe pas: depuis que Saddam s’est dissout tel un djinn malin emporté par un tourbillon de sable du désert irakien, les médias du monde entier ne cessent de mettre cette nouvelle calamité en une des journaux. Même la Suisse a cessé de traire sa vache pour traquer le SRAS.

On dit la République de Genève en ébullition en raison de la malencontreuse sortie d’un chœur mixte qui, plutôt que de conduire ses chanteurs sur les prairies verdoyantes et fleuries du Rütli, les a disséminés — sans masques, pensez voir! — sur les sentiers croulants d’une hypothétique muraille de Chine. Il est question de fermer les écoles et d’enfermer ces touristes inconscients, mais néanmoins traîtres à la patrie. L’heure est grave. Le SRAS ne passera pas!

Me permettrez-vous de rester indifférent au SRAS? Me permettrez-vous d’exiger de notre télévision et de mon journal préféré une véritable information?

Par exemple, pour rester dans notre humble clochemerle romand: comment se fait-il que dix personnes, en quasi totalité des jeunes, puissent perdre la vie sur nos routes le temps d’un week-end? Rapporté aux chiffres mondiaux cités plus haut, cela nous donne, à l’échelle de la planète, près de 9’000 morts pour un seul week-end de printemps! Alors je demande: où se trouve la calamité? Quel est l’ennemi à combattre? Qui va prendre des mesures pour que l’hécatombe cesse?

Et notez bien: je ne vous fais pas le coup des enfants qui crèvent de faim dans le tiers monde, ni celui de continents en dérive livrés à eux-mêmes, mais exploités par d’autres. De même, je me refuse à vous apitoyer sur les guerres équatoriales récurrentes des Philippines à la jungle sud-américaine en passant par le cœur de l’Afrique. Non, je ne parle, je ne veux parler que d’un petit week-end en Suisse.

Les attentats du 11 septembre 2001 nous avaient valu le feuilleton médiatique de l’anthrax. Vous vous en souvenez certainement: les médias suisses traquaient ces bacilles du charbon comme s’ils avaient recouvert le Cervin et emporté la moitié de la population. Une génération de bambins cauchemarda à l’anthrax.

Puis, mystérieusement, l’anthrax fit trois petits tour et s’en alla. Aujourd’hui, la guerre d’Irak nous amène le SRAS. Diable! Le danger est permanent. Une nouvelle génération de bambins cauchemarde en masques blancs, étonnés à l’aube de voir que leurs mamans n’ont pas été mises quarantaine…

Nous vivons dans un monde globalisé où les informations (contrairement aux individus) circulent avec une grande liberté. Partisan déclaré du village global, je ne vais pas m’en plaindre. Mais cette liberté-là limite la liberté de petites rédactions dépendantes de grandes agences hyper-centralisées dans leur globalisation.

Nous en payons le prix en subissant des tornades médiatiques telles les guerres du Golfe, les attentats du 11 septembre, l’anthrax ou le SRAS. Cela nous permet, quand la dose est trop forte ou mal calculée, de découvrir que même s’il est lointain, le maître n’en est pas moins présent. Et que par conséquent, la révolte reste toujours une mesure urgente de salubrité individuelle. Désormais, dès que j’entends parler de pneumonie atypique, je zappe!