- Largeur.com - https://largeur.com -

Le Proche-Orient vers un remake des années 90

En 1991, la victoire contre l’Irak avait relancé le processus de paix israëlo-palestinien. Serait-on en passe de suivre un remake de ce scénario?

A l’époque, les Etats-Unis, gonflés par leurs succès militaires, avaient organisé à Madrid une conférence qui avait débouché sur des pourparlers bilatéraux, lesquels devaient aboutir à la création d’un Etat palestinien et au règlement des questions dites de «statut permanent», telles que Jérusalem, les réfugiés et les colonies de peuplement.

Relancés par les Accords d’Oslo de septembre 1993, ces pourparlers ont été suspendus en février 2001, à la suite de l’arrivée au pouvoir du Likoud emmené par Ariel Sharon, partisan avéré de la manière forte face aux Palestiniens.

Si l’on en croit les déclarations des dirigeants américains et britanniques depuis le début de la guerre en Irak, le même scénario serait en passe de se reproduire.

Sur la lancée de leur victoire apparemment définitive, ils auraient l’intention d’imposer aux protagonistes de l’Intifada les termes d’un plan de paix encore officieux mais déjà connu depuis octobre 2002 sous le nom de «feuille de route» (roadmap).

Parrainée par le Quartet — un groupe informel composé des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Russie et de l’ONU –, la roadmap, d’influence américaine, prévoit l’arrêt immédiat des violences suivi de l’établissement graduel d’une paix durable devant conduire, à l’horizon 2005, à l’établissement d’un Etat palestinien viable et à la reprise des négociations bilatérales au sujet des dossiers épineux portant sur le «statut permanent».

Ce plan optimiste constitue le pendant diplomatique d’une stratégie américaine visant à imposer, par la carotte ou le bâton, un «nouveau Proche-Orient» pacifié, prospère et ouvert au monde occidental. C’est aussi un moyen décisif de redorer le blason des Anglo-saxons dans le monde arabe, après une guerre en Irak très impopulaire, qui a été largement considérée comme une tentative de conforter Israël dans son rôle de puissance régionale hégémonique.

Pour l’ensemble des pays de la région, la paix est aussi une nécessité. Tandis que les dirigeants de la Jordanie et de l’Egypte font face à des populations qui n’hésitent plus à critiquer ouvertement leur alignement pro-américain, l’économie proche-orientale, celle d’Israël y compris, s’est gravement détériorée depuis le début de l’Intifada.

Le tourisme, source importante de devises étrangères, est en chute libre et le niveau des investissements s’est considérablement affaissé. C’est en Cisjordanie et à Gaza que la situation est la plus grave. Selon un récent rapport de la Banque mondiale, 60% de la population vit aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté avec un revenu de moins de 2 dollars américains par jour.

Au marasme économique vient s’ajouter le désarroi suscité par la déroute subite du régime Saddam Hussein. Le Président irakien jouissait d’une forte notoriété en raison de l’assistance financière qu’il versait aux victimes de l’Intifada et de son refus d’une «pax americana» ouvertement pro-israélienne.

Sharon ne s’y est pas trompé en évoquant récemment les relations que l’avènement d’un Irak nouveau laissait présager avec ses voisins arabes, en commençant par les Palestiniens.

Voilà pour le tableau général. On a cependant le droit de douter que le contexte actuel, marqué par le triomphe américain et l’affaiblissement du monde arabe, puisse assurer une issue rapide au processus de paix. On voit d’abord mal l’administration américaine, jusqu’à présent sous l’emprise d’idéologues ultra-conservateurs proches d’Israël, forcer le gouvernement Sharon à assouplir sa position face aux Palestiniens.

De plus, avec l’approche des élections présidentielles de 2004, George W. Bush aura pour souci de ne pas s’aliéner le vote, jugé capital, de l’électorat juif américain.

L’Europe, quant à elle, ne semble pas être en mesure de remplacer les Américains. N’ayant pas réussi à s’imposer comme un médiateur valable aux yeux d’Israël ou du monde arabe, elle s’est elle-même placée dans le sillage de la diplomatie américaine.

Les velléités pacifistes de Blair n’y changeront rien: en empêchant les dirigeants palestiniens d’assister en janvier dernier à une réunion organisée à Londres au sujet des réformes de l’Autorité palestinienne, Sharon a montré le peu de crédit qu’il accordait à toute initiative non inspirée par les Etats-Unis.

Une autre difficulté réside dans l’approche «par paliers» proposée par la roadmap. L’expérience avortée du processus d’Oslo indique que cette approche incrémentielle ne pouvait que mener à l’échec.

Neuf ans après les Accords du même nom, les Israéliens toutes tendances confondues, se sentent aujourd’hui trahis par les Palestiniens et hésitent désormais entre répression accrue et séparation unilatérale et permanente.

Quant aux Palestiniens, ils se considèrent une fois de plus victimes de l’histoire: dix ans après avoir franchi le pas décisif de la reconnaissance d’Israël, ils se retrouvent avec une simple promesse d’Etat au territoire morcelé et grignoté par des colonies de peuplement juives construites, qui plus est, en toute illégalité.

Il n’est pas dit pour autant que les Palestiniens, épuisés par plus de deux années d’Intifada, se soumettent au diktat de Sharon. La répression de Tsahal dans les Territoires autonomes et l’intransigeance israélienne face aux revendications nationales palestiniennes restent les meilleurs catalyseurs de l’Intifada.

La seule formule susceptible de sortir de l’impasse actuelle réside dans la tenue de pourparlers conjoints portant simultanément sur les questions de sécurité et sur celles de statut permanent. Mais la clé d’une réussite du processus de paix est avant tout dans les mains des dirigeants israéliens et palestiniens.

Il est temps que ces derniers se décident enfin à adopter à l’égard de leurs peuples un véritable discours de paix, basé sur les acquis de la reconnaissance mutuelle. Pour le gouvernement Sharon, cela revient à dire aux Israéliens que la mise en œuvre des droits nationaux des Palestiniens (droit à un Etat viable et au retour des réfugiés) ne se fera qu’en fonction de la sauvegarde des intérêts nationaux israéliens.

Pour l’Autorité palestinienne, il s’agit de développer un projet d’Etat-nation soucieux des voix émanant de la société civile et rayonnant sur l’ensemble de la diaspora palestinienne; un projet suffisamment attrayant pour détourner la société palestinienne des revendications maximalistes incompatibles avec le principe d’une coexistence pacifique.

Mais c’est là un scénario de politique fiction.

Pour l’heure, tandis que l’Autorité palestinienne se débat dans des réformes institutionnelles dont l’enjeu se limite à la répartition des pouvoirs au sein de l’exécutif, Sharon continue à louvoyer en conditionnant la reprise des négociations à l’abandon par les Palestiniens du droit au retour et de toutes les résolutions internationales qui s’y rattachent.

——-
Jalal Al Husseini, 36 ans, est docteur en science politique et chercheur en relations internationales. D’origine suisse et palestinienne, il est domicilié à Amman.