Fumer, avaler, lutter contre le sommeil… Karl raconte les expériences auxquelles il a été soumis dans un centre hospitalier suisse.
Qu’est ce que tu fais dans la vie? Je suis cobaye humain. Voilà une réponse qui fait toujours son petit effet (plutôt négatif, d’ailleurs). Lorsque je leur ai annoncé la nouvelle, mes amis m’ont regardé de travers, une pointe de dégoût au coin des lèvres. J’ai essayé de les rassurer. Je leur ai dit qu’ils étaient mal informés.
La première fois, j’avais 18 ans. «Ils cherchent des gens pour tirer sur des cigarettes afin d’étudier leur effet sur l’organisme. Tu fumes déjà, tu devrais essayer, ils paient 400 francs suisses (1600 francs français)», m’avait suggéré un oncle, médecin au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
J’étais étudiant, évidemment fauché. Je n’ai pas hésité. Je suis allé «tirer sur leurs clopes» sans une once de mauvaise conscience.
Les cigarettes? Genre tabac brun sans filtre, costaud. Il fallait en fumer deux à jeun. Rien que ça. Nous étions quatre, je suis le seul à n’avoir pas vomi.
J’ai poursuivi mes visites au CHUV pendant toutes mes études. En tout, je n’ai joué au cobaye qu’une quinzaine de fois. D’abord parce qu’il est interdit de cumuler un trop grand nombre d’expériences. Ensuite parce que la demande fléchit à un rythme régulier: les étudiants en biologie ou en médecine se chargent de jouer les cobayes quand ils ne sont pas en examens ou en vacances. Ça me rassurait: s’ils le font, c’est qu’il n’y a pas de danger.
Le pire n’est pas là où on l’attend. Le plus pénible, ce sont les expériences qui se prolongent sur plusieurs jours. Ces épreuves sont aussi les mieux payées: près de 2000 francs (8000 francs français).
Pour tester un nouveau médicament, j’ai passé quatre fois 24 heures dans une pièce sans lumière naturelle, sans notion du temps, avec interdiction de dormir pendant la journée. J’ai cru devenir fou. Un peu comme quand on attend, assis pendant des heures sur un tabouret, droit comme un i, que les médecins suivent aux rayons X l’évolution du petit morceau de cake radioactif qu’on vient d’ingurgiter. Le plus dur n’est pas d’avaler le gâteau, mais de rester parfaitement immobile. Mieux vaut avoir la digestion rapide.
Je vous l’avais bien dit, c’est un sujet décevant. On s’imagine le pire. En réalité, ce n’est pas grand chose. Ingurgiter des médicaments, suivre des régimes, uriner dans un bocal… Avec, en prime, des contrôles médicaux réguliers et approfondis.
Il y a bien quelques expériences délicates. Comme cette sorte de grosse bulle dans laquelle on vous place pour calculer votre volume respiratoire. Inconfortable, mais pas douloureux. Rien à voir avec le tube qu’on vous enfile par le nez jusqu’à l’oesophage. Sans doute l’expérience dont je garde le pire souvenir. Je ne sais plus ce que l’on testait sur moi, je me souviens seulement que le médecin n’arrivait pas à enfoncer son tuyau au bon endroit dans mon estomac, et que les infirmières épongeaient les larmes qui giclaient de mes yeux à chaque nouvel essai.
Après cette épreuve, j’ai pu rentrer à la maison… avec mon tube qui sortait d’une narine. J’en avais assz. Je ne me suis plus jamais inscrit pour des tests de gastro-entérologie.
Ces expériences ne présentent pas un grand danger. En Suisse, les normes en matière de radioactivité, par exemple, sont beaucoup plus sévères que dans le reste de l’Europe. Je me souviens d’une expérience annulée parce que le taux de radioactivité d’un produit avait été jugé trop élevé, alors qu’il était encore des centaines de fois inférieur à la norme suisse. Je n’ai jamais accepté de test sans en avoir longuement discuté avec les médecins.
Aujourd’hui, j’ai encore des amis – finalement, certains s’y sont mis – qui vont régulièrement au CHUV donner leur sperme pour les fécondations artificielles. Un magazine X sous le bras pour l’inspiration, une petite branlette dans les WC au dessus de l’éprouvette et le tour est joué. Rémunération: 200 francs la giclée. J’ai hésité. Hésité, pas pu.
