LATITUDES

Alinghi, la mer à la montagne? Mon oeil!

Christophe Gallaz revient sur la victoire du bateau suisse en Nouvelle-Zélande. Il y voit le succès d’une mécanique performante, dûment estampillée «Made in Switzerland».

D’ici les festivités prévues ce prochain week-end à Genève, la semaine s’avère épouvantablement alinghienne dans nos médias. Nausée. Celle-ci nous incite cependant d’autant plus à réfléchir de près, et de loin, sur la victoire du bateau suisse en Nouvelle-Zélande.

De près, c’est plutôt simple. Premièrement, la course du voilier fut moins un exploit sportif qu’une mise en oeuvre de la science, de la technique et du savoir-faire organisateur.

Deuxièmement, elle a fonctionné comme une illusion intellectuelle et psychologique. Loin de constituer ce genre d’épreuves magnifiques où l’humain transcende poétiquement sa propre précarité, elle a flatté le fantasme contemporain majeur selon lequel l’argent peut tout: non seulement agencer nos destins personnels au sein de nos communautés terrestres, mais aussi maîtriser les impondérables réputés fatals de la mer, des nuages, du soleil et du vent.

Troisièmement, elle a substitué, au sentiment d’identité collective qu’aurait induit dans l’opinion publique un équipage composé principalement de Suisses, une jouissance de type industriel et dominateur: avec Alinghi nous avons su nous procurer des étrangers comme nous l’aurions fait d’une matière première, puis nous avons su les transformer comme des choses avant de les assembler au sein d’une mécanique performante, dûment estampillée «made in Switzerland».

De loin, c’est encore flou. Remarquons seulement que ces derniers jours, pour éviter de sembler absolument réfractaires au délirant bonheur ambiant, plusieurs sociologues amateurs ou professionnels ont annoncé l’avènement d’une nouvelle mythologie collective amenant enfin la mer à la montagne, c’est-à-dire l’esprit d’ouverture au réflexe étriqué du quant-à-soi patriotique.

Voire. Ne s’érige en mythe que l’imagerie possédant une valeur d’usage. Il faut que notre mental puisse l’utiliser comme la symbolisation d’un cadre et d’un corps de comportements réels. Vous voyez les responsables de l’UDC dire un jour à leurs militants uranais de ramer vers un avenir meilleur? Moi pas.

Christophe Gallaz